Premier de l'an. Ecrire sur du neuf, quel plaisir!
J'étrenne la vie...
En fait, ce que je faisais hier, je le poursuis aujourd'hui. Comme je suis perfectionniste, je tente de le faire mieux encore, et comme je crois que la vie a du sens, j'essaie de donner une vague continuité à ce que j'entreprends
Par contre, je ne pose pas de date car je ne crois pas au temps, pas à celui qui passe, encore m...oins à celui qui s'arrête.
En réalité, je sais peu de choses, excepté que la vitesse de la lumière ne varie pas, quelles que soient les circonstances. On dirait même que c'est elle qui créée les circonstances, au point que le temps et l'espace se courbent afin qu'elle puisse garder sa vitesse de croisière inchangée.
Voilà tout ce qui me nourrit, plus une ou deux chansons entendues dans mon enfance , cela suffit pour que je reste debout à vivre.
A vouloir tantôt bouger sur cette terre , tantôt attendre immobile que quelque chose tombe du ciel.
Tout autour de moi le vide dont on sait que ce n'est pas le vide, et à l'intérieur l'immense , dont nul ne sait la source à part la source elle-même.

1 Janvier 2017 © Hélène Phung

 


Jour 2. Mon frère allait très mal.Nous avons fini par le placer en séjour psychiatrique, le temps de trouver un nouveau traitement qui lui convienne, et qui suspende les crises et les angoisses. Mais c'est un placement volontaire: en dernier lieu c'est vous qui aurez le dernier mot, lui a-t-on assuré.
Et vraiment, ça le rassure. Le fin mot de l'histoire sortira de sa bouche. Il tient son destin ...encore entre ses mains.
Pour l'instant nous respirons. C'est comme si quelqu'un avait appuyé sur le bouton "pause".
Dans le ciel de la vie un ange passe, fait de silence et d'épaisseur.
Se réveiller le matin derrière la vitre glacée . Du bon côté :celui où l'on peut se régaler de la beauté du givre accroché aux arbres et aux herbes hautes sans le désagrément du froid. C'est d'une beauté sans blessure.
L'on voudrait que le temps passe ainsi, derrière la baie vitrée . Voici le temps des souhaits ou plutôt d'un seul vœu. Celui de rester spectateur quoi qu'il arrive, de toutes les splendeurs ouatées du monde et de garder comme un talisman le mot de la fin.
Chaque soir, je me berce de poésie quantique. Chaque matin, je me réveille avec le même sens dénaturé de la réalité car il faut bien durer.
Survivre à l absence, réaliser sa propre réalité. Dans le cœur une foi. Dans l'âme un souvenir. Dans la bouche, un mot: le seul capable de tout clôturer.

2 janvier © H Phung

 

Jour 3.
Comme tous les ans début janvier passe mal. Moi
, que l'on dit pleine d'énergie, ai bien du mal à démarrer. Les premiers jours sont glauques et sirupeux. Je ne me sens pas neuve mais terriblement vieille et lourde déjà de cette année dont il faudra vivre les 365 jours. C'est encore pire lorsque ça se passe dans la neige dont la blancheur a tendance à me donner la nausee. Ces jours ci e...ntre gris et givre sont donc un moindre mal.
Curieuse alchimie entre le monde et moi à l'aube d'une année nouvelle. C'est comme une façon de faire peau neuve avant de vivre. Longue mue de serpent: il me faut me secouer des gercures d'hiver et de la lenteur maladive du temps. Jouer les prolongations d'une hibernation calfeutree chez soi.
D'ailleurs à chaque réveillon de la St Sylvestre nous devenons de plus en plus ours , mon compagnon et moi. Pas d'ami ni de famille.Nous restons seuls et nous delectons de cette coupure d'avec le monde. Moi la grande voyageuse lorsque je ne pars pas je creuse la terre là ou je suis comme pour m'y enfoncer.Je creuse mon gîte. Le soir du 31, nous sommes des animaux terrés . Nous ne dressons même pas la table. Nous grignotons devant la télévision ou bien au milieu des livres chacun à un bout du canapé sous deux tonnes de couette. L'attente est interminable .Enfin lorsque sonnent les 12 coups on ne se sent même pas délivré .Le passage d'une année à l'autre , qui a dit qu'il était festif et étincelant comme un feu d'artifice? Il reste silencieux et inaudible. Atteindre les 2 heures du matin semblant au- dessus de nos forces, nous allons nous coucher en espérant trouver un vrai sommeil, après ce non-rituel accompli.

Mais nous sommes le 3 deja, l'engluement se defait. Nous voilà delivres de la fête ambiante dont se teinte le monde. La mairie école en face de nos fenêtres otera ses guirlandes bleues. Les jours rallongent et les bourgeons endormis de l'hiver passent lentement du jaune fadasse au vert dévorant.
A la fin du mois nous serons vivants.

3 janvier 2017 H Phung

Jours 4&5. Allons donc, nous voilà bientôt au bout de la semaine. L'an dernier , à cette époque nous préparions nos valises pour le voyage en Inde et au Népal .Cette année nous resterons à creuser notre trou ici. A chacun ses racines. Pour Christian c'est la musique : un peu de piano, de la guitare sèche et électrique , et depuis noël des percus puisqu'il s'est commandé une batterie qu'il a insta...llée là -haut dans son antre perchée à 9 mètres, au dessus de la mezzanine de notre "maison cathedrale" comme disent les gens.

C'est moi qui ai dessiné les plans . Nous avons fait faire l'ossature bois par un artisan, puis nous avons fini le reste tout en habitant dedans. Ca nous a pris un an complet. Nous etions comme un couple d'oiseaux construisant son nid, brindille apres brindille. Chaque molécule de notre corps tournée vers cette unique occupation. A croire que c'était un plan divin.
Au bout de 15 ans on peut estimer qu'elle est à peu près finie. Ou plutôt qu'à peine achevée, déjà elle commence à vieillir par petits bouts. Bref elle nous ressemble .Perchée sur une butte, à peine visible à cause des acacias et des ronces qui l'entourent.A peine humaine :on dirait plus un perchoir qu'autre chose .
A l'intérieur, nous avons accumulé comme des pies jalouses , toutes les bimbeloteries que nous avons ramenées des 4 coins du monde. Et pourtant, il nous reste de la place pour y vivre tant elle contient entre si peu de murs, tant d'espaces et de baies vitrées ouvertes sur le ciel et sur les arbres tout à l'entour.
Pas du tout fonctionnelle diraient certains, mais elle n'est pas faite pour fonctionner.Elle est conçue pour briller au soleil en plein été et nous ouvrir à l'éclat des neiges en plein hiver.
Moi j'occupe l'étage perché à 6 mètres 50 de haut. J'écris, je plie du papier et je bouquine en face des Bauges et du Mont du Chat, par- dessus le toit d'acacias avec le Rhône tout en dessous , à hauteur de vol des buses lorsqu'elles se rapprochent de la terre.

Si je sors, c'est juste pour enfouir ça et la des graines de paroles. Mais je préviens mon auditoire: attention conteuse donc menteuse. Ne vous laissez pas prendre par le mirage des mots ce miroir aux alouettes. Tendez plutôt l'oreille intérieure à vos propres songes. Déployez vos cheveux comme autant d'antennes vers le cosmos. Ainsi font les shamans .

Cette année , je me suis fait la promesse ,au lieu de parcourir la terre d'un bout à l'autre comme l'an passé, d'occuper l'espace d'une pleine verticalite.
De la terre au ciel en passant par le coeur :être.
Ne pas aller, ni même voir ou entendre . Surtout ne rien attendre. Juste être.
Tâche oh combien difficile!
Depuis 5 jours je peux dire que, l' espace de 5 secondes , j'ai été.

Hélène Phung 5 janvier

 


Jour 6. Jour des rois. Hier, ce fut une journée casse -tête.
Je m'intéresse beaucoup aux récits des gens que l'on appelle des experienceurs . Ceux qui sont revenus de l' au -delà pour nous raconter, après des arrêts cardiaques de 10 mn et des encephalogrames plats, non pas survivants mais plus vivants que jamais, quils ont trouvé "la- bas" leur vrai soi.
J'y réfléchissais hier tandis que je nav...iguais à vue entre le faux soi de mon frère ( celui qui s'énerve et devient agressif , entend des voix ) et son vrai soi, celui qui revient à lui et se souvenant de ce qui fut accompli demande pardon en disant: ce n'etait pas moi.
Je sais ce que c'est que de naviguer ainsi entre folie et lucidité. D'avoir devant soi quelqu'un qui soudain disparaît et lorsque l'on croise son regard il n'y a plus personne.La place est vide.Et soudain revient c'est à peine perceptible.Juste une lueur. Celle de l'âme.
Lorsque j'étais très jeune cela me terrifiait.A présent je suis à l'aise avec cela. Ou du moins assez détachée et lucide pour ne point m'en effrayer.
Notre âme nous est extérieure, notre soi bien plus grand que nous même.
Au jour le jour il s'agit de trouver quoi faire de la folie des autres, dans quel espace s'immiscer pour trouver un point de convergence.Un lieu de communication. Il faut juste savoir que ce lieu se déplace et que parfois même il disparaît un temps. Agir en conséquence et attendre patiemment que l autre de nouveau nous aborde.
La seule crainte étant qu'il se perde à tout jamais et reste de l'autre côté de la berge sans espoir de retrouvailles en cette vie là.
Mais peu à peu j'ai appris à patienter.Puis à ne plus attendre du tout. Ils sont la, tous, tout est là partout et depuis toujours. C'est juste que nous n'y avons pas encore accès. Nos fous et nos morts ne sont pas perdus. Nous les croyons hors d un chemin que nous avons rêvé. Mais il n'y a ni chemin ni destination hors l'amour.
Nous voici au sixième jour. Celui des Rois mages. Sur la table givrée dehors comme tous les jours dhiver j'ai mis des croutons de pain pour les oiseaux affamés.
Lorsque nous sommes retournés rapidement chez mon frère pour vérifier si les chats provisoirement abandonnés avaient eu assez pour subsister durant son absence , nous avons trouvé des plumes d'oiseau au pied de leur gamelle vide.
Le sacrifice des uns garantit la survie des autres. En ce clair matin de janvier je nourris mésanges et rouge gorges merles et pies.
Un geste n'en raccomode pas un autre mais poursuit simplement une histoire.
Je ne suis pas St François d' Assise.

HP 6 janvier 2017
Jour 7.
Ce septième jour n'est pas levé encore. Il se prépare . Le temps ne se déroule pas : nul lieu où s'accumuleraient toutes les neiges d'antan, nul autre, où le futur serait enroulé tel un film autour de sa bobine prête à se devider.
Nous sommes le présent, de multiples fois. Capteurs et emetteurs d'ondes. Nulle frontière réelle mais des milliers de lieux de rencontre, de friction et d'ab...sorption. Subtile échange de molécules et d'atomes. Ca bouillonne sans cesse: l'immobile danse. La matière explose .L'univers est une palpitation permanente de fibres d'énergie pareilles à de minuscules cordes en perpétuel mouvement. Tout me touche au delà de mon seuil de perception. La moindre de mes respirations le plus petit de mes gestes affecte le monde depuis son commencement et jusqu'à sa fin puisque la même onde vibratoire nous parcourt depuis le big bang.
Comment comprendre cela: que nous recevions la lumière d'étoiles mortes depuis des milliards d'années. Qu' à l'instant même elle percute notre pupille.
Nous qui restons sourds à la mélodie des planètes. Nous dont les yeux voient dans doute bien plus que ce que nous traduit notre cerveau.
L'au delà est ici même en cet instant même dans tout ce qui nous échappe.

Tout au fond du lit, dans le noir de ce jour pas encore levé, je révise la poésie quantique du monde.
Mon pauvre esprit divague, il deviendrait fou si quelque chose en moi ne savait tout cela de toute éternité.
Mais il va s'agir de se lever, de retrouver dans la verticalité du corps mille et une preuves d'existence. Et même tout simplement d'exister.
Je sais la banalité des gestes qui m'attendent. Ce quotidien me forge. Je serai cela, tous ces instants mis bout à bout, depuis le lever en passant par tous les scenari d'une vie sédentaire occidentale jusqu'au coucher où enfin se relacheront les sens quittant leur état de veille .
Alors, lentement, la poésie infinie du monde et tous les chants cosmiques nourriront mes oreilles enfin disponibles, mon âme ouverte.
Pour l'heure, le jour ne s'étant pas levé encore, je vais refermer les yeux pour goûter à mon aube.

HPhung.
 

 


Jour 7 bis
Il y a 2 ans jour pour jour se produisait l'attentat de Charlie Hebdo et il restait à mon fils 7 jours à peine à vivre, puisqu'il est parti à l'aube de ce septième Jour.
Peut être est -ce pour cela que j'ai plus envie de me tourner vers les étoiles et la physique quantique que d'entamer cette journée terrestre.
Peut être qu'il me faut lever le regard très haut et très loin pour conti...nuer à trouver de la beauté en ce monde où meurent les abeilles , où se détache à l'instant même une immense plaque de banquise, (faille du glacier Larsen en Antarctique) , où la beauté des femmes se voile, tandis que s'entretuent les hommes.
Mon fils voulait pourtant continuer de vivre et de faire de la musique au milieu de ce vaste tintamarre.
Il a emporté avec lui sa symphonie. Ses rythmes et ses pulsations musicales .
Je ne sais pas qui a récupéré ses percussions issues de Jéricho .
Il est parti en silence. Deux ans plus tard nous en restons encore assourdis, tandis que le chaos du monde se poursuit.

HP 7 janvier 2017

 


Jour 8
C'est dimanche. Ca y est le symbole de l'éternité est atteint. Placé à la verticale il tient debout grâce aux lois de gravité. Évidemment moins efficace qu'un beau 8 allongé :une éternité terrestre, autrement dit à l'échelle de l'humanité incarnée.
Cela signifie que l'année a bien pris son essor. Encore quelques jours de lumière et de guirlandes, de voeux puis on passera au blanc. Janvi...er est le mois des draps propres.
Hier j'ai entièrement refait mon lit, changé les housses et secoué la couette, allumé un brûle-parfum aux ecorces d'arbre ramenées du Sénégal pour céder ma chambre à des invités. Les derniers d'un noël -Jour de l'an qui se prolonge sans fin. Finalement, ils ne viendront pas: neige à Grenoble.
Nous n'aurons que le reste de la famille ,les plus courageux et les plus prévoyants équipés de pneus neige.
A Nattages pas une trace de poudreuse.Tout reste suspendu au dessus de nos têtes.
Comme le coup de fil annonçant une deuxieme hospitalisation de mon frère. Il était sorti au bout de 2 jours et à pété les plombs comme on dit.
J'ai joué en partie les plombiers de service. Mais ça , c'est long et délicat à raconter. Et je ne voudrais pas plomber ma page ni les réseaux sociaux .
On lave le linge sale en famille, dit- on. Lundi si tout va bien, j'irai m'acheter une couette neuve au duvet de canard dans laquelle m' enrouler en cas de catastrophe familiale ou nucléaire.
On dit que de plus en plus de personnes suivent des stages de survie en cas d'attaque terroriste.
Mais que faire lorsque que l'on est son propre terroriste?
Cas de schizophrénie avéré . Et moi qui ne suis que le témoin d'un séisme profond qui aura duré toute une vie, je ne puis faire autrement que ces enfants qui ferment les yeux pour échapper au monstre.
Mais sous la couette je trouve encore moyen de penser aux canards qui y ont laissé des plumes.
Nulle part jamais, même dans des draps neufs, on ne peut rester innocent.
8 janvier HP

 


Jour neuf de l'an neuf. Chiffre de l'infinitude, de la totalité atteinte. Comme les 9 hauteurs de branches du shaman qui lui permettent d' atteindre les 9 cieux. Les 9 mois de la gestation humaine. Triple trinité qui aboutit à la naissance de ce qui ,absolument neuf n'a jamais vu le jour encore.
J'ouvre donc les yeux pour me nourrir de la virginité absolue de ce jour. Tellement fraîchement p...ondu qu'il reste dans son nid de tenebres encore tel un oisillon sans plume.
Doucement, je vibre dans cette nudité d'avant l'aube. Cette absence de plume. En ce temps tenu ou se rêvent les envols .
Au fond de ma couche qui sent le coton frais, je me sens comme dans une layette.Bientôt je debrouillerai mes membres des limbes ouatees qui m'entortillent. Songes dun autre monde aux senteurs d'urine amoniaquees.
La fleur de berce très exactement sent cela: un mélange de lessive et de pipi de bébé. C'est délicieux comme cette grande apiacee nous ramène à d aigrelettes régressions. Les longues tiges se balançant au vent portent de larges ombelles qui s ouvrent sur une multitude de fleurettes blanches comme du lait.
Mais fini de téter la nuit.
Il va falloir entamer ce jour neuf .Ce n'est pas le soleil qui se lève, c'est l'homme . Lui qui se couche, ferme ses sens et les rouvre.
Lui qui compte les jours les minutes et les secondes.Remonte à sa source pour comprendre les courants de vie qui le parcourent et le poussent à chaque instant un peu plus hors de lui même.
Un jour un vent dernier me chahutera. Je mourrai comme tout un chacun d une overdose de vie.
Ce matin à 9 heures j'ai un rendez-vous professionnel c'est inscrit sur l'agenda que je perds toujours.
Ma profession est de raconter des histoires. Avouez que ça ne fait pas très sérieux.
Et pourtant rien de plus grave ni de plus important au monde que cela.
Juste après le goût de noisette des graines des fleurs de berce en automne.

HP 9 janvier 2017
Jour 10. C'est devenu une sorte de rituel.Tôt le matin, le plus souvent à l'aube, encore au fond du lit, et l'esprit entre 2 eaux. Ni réveillée tout à fait ni endormie, j'extirpe de la table de nuit mon portable et les yeux plissés à cause de la lumière crue de l'écran, je raconte.
Aucune idée préconçue. Il n'est pas de fait à exprimer plus important qu'un autre.Je reste à l'écoute de ce qui se... dit ou plutot s'écrit .

Chacun sait que le mot poésie vient du grec "poien" qui signifie faire, créer.
Moi je dirais que c'est plutôt laisser faire.Comme on le dit en méditation.Laisser passer .Rester attentif à ce qui circule et ne pas constituer d'entrave.
Ainsi , l'image nous travaille dans notre propre terreau. Voyez comme elle se déploie. Tandis que je reste fond de lit de rivière et que j'écoute attentive le brassage des grains de sable et plus profondément encore les entrechocs sonores et vibratoires de chaque molécule de cette substance qui me porte, la musique alors s' imprime en moi et me dessine des ouies. Comme entendre se creuse, écrire se lamine lentement par le fond.
Jusqu'à s'atteindre. Se rejoindre par la source.

L'aube pour cela s'avère un temps propice.
Nathalie me disait que chaque matin avant que le jour ne se lève, elle sort pieds nus danser. Respirer l'air , piétiner le sol froid les herbes mouillées par la rosée. Se heurter aux éléments les apprivoiser dans le désordre puis la fluidité des gestes jusqu'à ce que la vie s'écoule docile .Que tout s'abandonne et se dissolve d'un même souffle.
Voilà bien ce que je fais au moyen du verbe. Dans un semblable salut à la terre et au cosmos .Une même synergie partagée avec les étoiles et les humains qui déjà dechiffrent les mots mis en ligne.
Il s'agit d'un rituel de decorporation. Ici je m'évade, je sors en esprit de moi -même, je vous rejoins dans l'énergie partagée des mots, la force de leur symbolique.
De même que les tibétains et les mongols, dès l'aube, se tournent vers les montagnes pour vibrer en subtiles harmoniques avec le sel de la terre et au-delà, la substance même du ciel, de même je me tourne vers l'orient des hommes.
Saluant leur âme cardinale. Paix et lumière. Amour.
Dans ce mot tout est dit.
Alors se taire et non pas savourer le silence mais se laisser par lui patiemment dévorer.

PHung 10 janvier

 

Jour 11
Neige encore. Lumière d'un blanc d'hôpital. Hier nous baignions dans cette lueur étrange d'une clarté sans soleil . Simple reflection de la pureté céleste ici bas tombée jusqu'en fin fond de vallée.
Les jours de blanc et de solde ont commencé depuis peu. Les gens revendent leurs cadeaux sur les reseaux sociaux . Les boutiques sont débordées par le nombre de retours insatisfaits. Ainsi... commence l'année :par une vaste braderie où l'esprit de Noël s' epuise dans un dernier échange d'euros . La fête est finie, les illuminations accrochées aux platanes ont déjà un un goût de nostalgie et de chose enterrée.

Hier , ayant comme chaque matin nourri les oiseaux affamés , j'ai eu le loisir de les observer . Le sauvage dans sa beauté nous affole et nous séduit. La plume et le bec, les serres crispées sur la branche, l'œil aux aguets, le mouvement vif . Et cette respiration par à- coups à peine palpable sous le duvet chahuté par ce minuscule vent intérieur de la vie, que l'on ressent si fortement sous la pression de la main lorsque l'on tient l'animal un instant captif. Tandis qu' un court instant le rythme cardiaque de la mésange affolée s'imprime sous vos doigts , rejoignant le flux de votre propre pouls en émoi, vous restez éblouis . Rencontre magnétique.

Une fraction de seconde l'envie de resserrer l'étreinte vous effleure. Une simple pression des doigts à peine accentuée juste le temps de sentir le souffle de la vie s'arrêter inopinément. Lorsque ca tient à un fil , grande est la tentation de rompre ce fil .
Mais la pulsion de mort aussitôt s'éteint .L'intuition de la beauté l'emporte sur tout. Et le sentiment profond d'une immense consanguinité non seulement avec cet être de plumes mais aussi avec le bois dont est fait l'arbre qui le porte, et le ciel dont mille fragments respirent encore sous ses ailes, et la texture même de sa terreur de se sentir ainsi retenu .Alors la crispation se relâche.

Envole toi l'oiseau. Je n'ai rien tenu que ta beauté . Rien attrapé que ton image. Pardonne moi si j'emprunte chaque nuit un peu de ta substance. A vol d'oiseau les hommes sont si proches et la vie enfin si palpable!

11 janvier 2017 H Phung
Jour 12
Ce matin rien ne me vient qu' une graine de silence. Je la planterai tout à l'heure dans la neige fourmillant de traces de pattes d'oiseau. Ce sera juste avant l'heure des mangeailles et des remuements de ciel et de branches.
On dit que les premières calligraphies chinoises furent inspirées par la contemplation des traces de pattes des volatiles au sol. Comme quoi l'écriture se situe bien à mi chemin entre le ciel et la terre.
Fidèle à ses origines, elle sert de lien entre deux mondes, traçant quelques signes sur le blanc incommensurable des espaces.
Mais jamais elle n'eut pour projet de défaire le silence.

12 janvier Helene Phung

 


Jour 13
Vendredi 13. Ce jour-ci ne sera pas une robinsonnade. D'autant plus qu'il tombe ce matin une sorte de grésil Nous avons du mal à réchauffer notre grande maison. Est-ce pour cela que je me réfugie dans les livres de contes ramenés de Nouvelle Calédonie et de la Réunion comme pour survivre en hiver austral?
En fait, il se produit à moindre echelle ce dont nous rêvons tous au moins une fois... dans notre vie: hiberner.
Rester coincé dans la neige dans l'impossibilité de sortir et donc se rouler dans la paresse en toute bonne conscience avec juste l'essentiel ,de quoi survivre feu et nourriture plus la chose, la seule , qui nous occupe vraiment l'esprit sans tenir de place.
En ce qui me concerne, des livres dont je pourrai aussi craquer les feuilles pour les couvrir de notes , mieux: les plier si l'envie me prend de ne plus décrypter les signes mais de me confronter à la matière . Incessant voyage terre-ciel pour garder un semblant d équilibre.
Pour Christian, le piano évidemment tient plus de place: comment se pelotonner dans un espace minimum avec un objet aussi encombrant?
A une époque où il allait à peu près bien, mon frère avait formulé le même souhait: je rêve de 5 mois d'hibernation totale. Ne rien faire rester paralysé sous un monceau de neige en me recroquevillant dans la position fœtale avec une réserve de nourriture et de bois pour la cheminée, rien d'autre.
Rien d'autre? Avais-je insisté.
Non rien d'autre.
A l'époque c'était un fou des maths et de Dieu.
Je suppose qu'il pouvait rester seul sous sa couverture à calculer durant des heures et des lunes le visage du cosmos.
Pour l'heure nous ne bougerons pas, non par superstition , mais pour vivre notre Groenland intérieur , en attendant que les nuits éternelles s'épuisent et que la grâce du jour nous soit rendue.
La seule parenthèse dans cet ermitage glacé, me faisant rompre un instant mon voeu pieu , étant l' appel des rouge gorge aux vitres. Mais il faut bien savoir déroger à ses propres règles.
Les habitants du ciel ne connaissent pas d'état d'âme juste la faim.

13 janvier 2017 Hélène Phung
Jour 14
Blancheur absolue. Il a neigé cette nuit.. Moi qui ne dormais pas, j'ai vu les flocons tomber dans le noir.

Il est mort ce matin à l'aube. J'ai sursauté ,couru jusqu'au lit de ma soeur pour lui dire que j'avais prié toute la nuit pour qu' il parte vite, en douceur, puisqu'il était condamné. Cinq minutes plus tard le téléphone avait sonné.
C'était le 14 janvier . Cette scène , dep...uis deux ans , mille fois déjà je l'ai racontée.
Aujourd'hui, il me semble que je n'ai pas fait la bonne prière. J'aurais du demander la vie non pas la mort. C' eût été la preuve d'une confiance absolue au lieu d'une demande bâtarde à mi chemin entre des réalités terrestres et la vague espérance d'une volonté supérieure tout juste capable d'accélérer un processus.
Voilà pourquoi le miracle n'a pas eu lieu.

Depuis, j'ai lu et visionné bien des témoignages de ceux que l'on appelle des experienceurs, revenus d'une EMI ( ou expérience de mort imminente) .
La prière des proches les avait fait revenir; en quelques semaines toutes les métastases avaient disparu , plus une seule cellule cancéreuse, ou bien ils avaient récupéré toutes les fonctions neuronales d'un cerveau théoriquement ravagé. Certains médecins ayant avoué leur totale incompréhension , avaient fini par jeter les dossiers du miraculé qui les rendaient fous.
Ce qui m'empêche de culpabiliser c'est le fait que tous ceux qui sont revenus, (et désormais les témoignages se comptent par millions à travers le monde , recensés par les scientifiques aux mêmes ) précisent que c'est leur propre choix et rien d'autre qui motiva leur retour. Qu'ils auraient pu franchir la ligne et rester de l'autre côté mais que quelque chose de ce monde les avait retenu.

En l'espace de deux années , j'ai pu transformer une douleur invivable en un espoir grandissant.
La mort de mon enfant me ramène inexorablement à des expériences de vie infinie. Me forçant à revenir vers mon cerveau intuitif .A ne plus effacer les souvenirs d'une période éclairée de mon existence.

J'étais revenue de ce passage dans la lumière transfigurée , munie soudainement d' une autre vision du monde et du réel.
J'avais, comme le disait alors le shaman Luis Anza. sauté hors du bocal. Et j'avais hurlé pour me faire entendre, partager la vision merveilleuse d'un au-delà de nos sens.
Mais la surdité sociale, le besoin de vivre la vie terrestre m' ont peu à peu affaiblie, décrédibilisée à mes propres yeux. La vision évidente qui m'avait tenue en état de grâce et de clairvoyance une année durant a fini par se brouiller. Luis Anza est mort. J' ai cessé de tracer les signes du reiki sur les paumes de mes mains.
Seulement gardé ma vie d'artiste.
Comme on dit: juste assez fêlée pour laisser passer la lumière . Le seul voltigeur que je croisais parfois en haut du fil c'était mon saltimbanque de fils. Nous faisions des étincelles, semblables au funambule de Nietzsche .
Sans ailes, je remonte desormais toute seule là-haut. C'est lui qui m'y pousse.
Le jour même de son inhumation, ce trou béant creusé dans la neige...
Une force inouïe m'a contrainte à lever le regard vers le ciel. Un mois et demi plus tard, je remontais sur les planches. En octobre, juste avant la saison du froid, je réalisais mon rêve d' envol en me laissant glisser en delta plane, le long de la falaise abrupte au dessus du lac .Un vent m'a portée à deux mille mètres , au dessus des montagnes et d'un groupe d 'oiseaux.

"Regarde, maman sait voler! " J 'avais lâché cette phrase à Gaël dans notre appartement de la Villeneuve lorsqu'il avait deux ans. J'étais face à lui, bras ouverts. Une fraction de secondes.
Puis je me suis tue, atterrée par l'incongruité de ce que je venais de proférer .Quelle folie m'avait poussée soudain?

L'enfant me regardait calmement, avec beaucoup d'indulgence, comme si j'avais juste prononcé cette phrase trop tôt.
On en avait parlé bien plus tard, il se rappelait très vaguement de l'épisode, comme d'un rêve lointain.
J'ai oublié beaucoup de choses dans ma vie, jamais ce regard .

14 janvier 2017 Hélène Phung

Jour 15
Ce matin, nous prendrons la voiture. Neige ou pas , nous allons vers Capucine. Elle me fera l'effet d'une fleur en plein hiver. Ce qui reste de gauche chez elle me bouleverse. La voir apprivoiser les mots et les gestes, affiner ses mimiques, et le ton de sa voix par mimétisme, pour devenir humaine...
Elle vient de si loin que ,sous ce qui reste d'animal en elle , odeur de lait et de chair... brouillée, de cordon fraîchement coupé, petille encore quelque lueur d'étoile, un relent de cosmos traversé.

Déjà, la première fois que je l'ai vue à la maternité, si eclose et si peu fripee, jai lu dans ses yeux grands ouverts tout le chemin parcouru et comme une promesse de partage.
Auprès d 'elle je ne cesse de me souvenir.

15 janvier 2017 Hélène Phung

Jour 16
Longue balade dans le Forez enneigé avec Capucine qui ne cessait de répéter du haut de ses 22 mois: J'aime pas la neige, j'aime pas la neige" tout en marchant malgré tout. Je me dis qu'elle me ressemble .Il me reste des souvenirs très précis de ma petite enfance.De ce temps où lorsque l'on regarde une chose on devient cette chose. Ca vous capte, vous envahit. Vous êtes ça et ça est vous. D...issolution complète dans la matière. A cet âge la les frontières sont fragiles et fluctuantes.
Et l'être ne répugne pas à se disperser. Au contraire c'est un bonheur tranquille que de se laisser absorber tout en absorbant.
Je me souviens avoir été le feu, le vent, un vol d' etourneaux dans le ciel. On n'imagine pas combien le très jeune enfant peut être immense.
Mais les epousailles avec la neige finissaient toujours par me faire mal au coeur. Se laisser envahir par le blanc lié au froid est une épreuve anesthesiante. La sensation d'un gel sidéral m'empêchait de revenir à moi
Il fallait un violent soubresaut doublé d'un haut le coeur pour expectorer l'hiver qui déjà avait prise sur les poumons, le sang figé dans les veines..
Voilà pourquoi je traversais les champs enneigés avec une sensation prégnante d'inepuisable nausée.
Ce rapport à la neige a duré jusqu'à l'age adulte. Un jour , brusquement , cette sensation d anéantissement en immersion blanche a disparu. Mais il me semble qu'il suffirait d'un effort minime pour faire resurgir ce qui reste à fleur d'âme.
Capucine ayant courageusement traversé les blanches immensités a retrouvé avec bonheur son petit monde.
Bien au chaud dans la cuisine, elle a pepie pendant des heures comme un moineau avant qu'on ne la mette au lit.
Elle n'a pas résisté au sommeil ni à la nuit féconde de sa chambre. En un clin d'oeil l'enfant s'est laissée prendre par le noir.
Ce matin, elle en est revenue radieuse.
16 janvier 2017 H Phung

Jour 17
Je ne sais plus le chemin du dedans. Et dire qu'autrefois, yeux fermés, je voyais. Aujourd'hui je ne parviens pas à faire abstraction du poids de la terre .
Ce matin, sur les chemins du Haut-Forez des ruades de vent passant au -dessus de nos têtes secouaient les branches des grands sapins d'où s'echappaient des nuages de poudre de neige scintillant au soleil.
Particules blanches et dorées saupoudrant le chemin verglace d'une lumière irisee.
Le reste de la journée peut s'écouler ou s'arrêter au seuil du monde.
Très égoïstement j'ai épuisé ma dose de beauté.
17 janvier 2017

 


Jour 18
Les connections sous la neige sont fluctuantes , ce qui installe des zones de silence dans le vaste brouhaha du monde.
Comme autant de pauses rythmiques , souffle suspendu.
Parce que je n'émets plus, on me croit disparue.Volatilisée dans la poudreuse...

Quelque part, c'est plus vrai qu'il n'y paraît : au-dessus de Noiretable dans les monts du Forez, une partie de moi s'est égarée. A ...tout jamais. Je ne crois pas que je mourrai d'un coup.
Que je laisserai tout en bas ma dépouille pour m'envoler entière vers la source.
Il me semble plutôt que je m'émiette peu à peu, comme l'on sème des graines de mémoire.
Lente dispersion de matière. Dans les éclats de neige semblables à du mica flottant dans l'air.
Au printemps ce sera du pollen, cet été du suint d'acacia, cet automne les tous derniers akènes de fleurs de pissenlit, pareils à des parachutes d'argent. La vie se diffuse.

Comme les fougères, à bout de course, éjectent des milliers de spores par -dessus la mousse, au gré des vents, les hommes dispersent des mots. Des histoires et des merveilles en jus d'écriture, en sève lente et autres féériques éjaculations d'encre.
Rien ne retombe dans le cosmos que gerbes de météorites. Rien ne peuple la sustance qui nous entoure qu' un silence enchanté.
Nous sommes constitués de cela toi, moi, nos chers disparus, os vagabonds et rêves effilochés ...
Nous ne sommes qu' une vibration.
Et nous ne savons pas qui nous chante.

18 janvier Champoly Helene Phung

Jour 19
Il y a un an jour pour jour, nous nous envolions vers Delhi.
Tout à l'heure, nous quitterons ce petit village du Forez où grandit Capucine. La fillette qui lève fièrement le doigt et la moitié d'un autre pour dire"j'ai un an , bientôt deux" a déjà connu deux déménagements. Cet été ça fera trois car la famille repart encore. Pourtant je la vois sereine, forte de tous les petits rites de... la journée autour d' elle minutieusement instaurés, et de l'amour de ses parents. Je crois que c'est cela sa maison. Cette assise qui la fonde.
Moi -même, n' ai je pas traversé les océans avant de m'enraciner en France? A vrai dire, je ne me souviens pas du hamac, ni des valises ni des tiroirs dans lesquels j'aurais dormi, me dit -on, bercée par les chansons de marin de mon père.
Mais je sens un rythme, comme un balancement en sourdine qui donnerait un tempo particulier à ma vie. Partout je me sens a la fois installée et comme nostalgique d'un ailleurs.
Chez Charline, la nièce de Tjibaou, dans la tribu de Hienghiene, au milieu des prés à chevaux bordés de haies de daturas géants , juste à la lisière des forêts de fougères arborescentes et de niaouli, je me sentais prendre naturellement racine. Je serais bien restée un mois encore, pour apprendre à reconnaître le cri des oiseaux.
Je me serais bien vue vieillir lentement à l' ombre des daturas blancs ourles de mauve.
Mais en même temps l'envie de quitter l' île, le besoin de poursuivre la route...
Nous avons laissé derrière nous la silhouette menue de Charline au milieu de ses fleurs et des grands près à chevaux de la Nouvelle Calédonie.
Comme nous laisserons le petit village du Forez implanté juste en- dessous des monts couverts de sapins enneigés.
Comme nous avons laissé au printemps dernier, après l 'Inde du Nord, le Népal dont nous avons parcouru les villages montagnards dévastés par le tremblement de terre quelques mois plutôt . Patan, Panauti, Nagarkot , Chitwan puis Baktapur après un léger séisme qui nous avait empêché de dormir, la veille de survoler l'épine dorsale d'un " Hima Alaya" large comme un dragon des neiges.
Arrivés en France, nous avons mis longtemps à nous défaire du souffle du Népal
.
En fait on ne se défait de rien, on emporte avec soi des bribes d'ailleurs et l'on sème derrière soi mille et une écailles de dragons , poils de chevaux et pétales de datura mêlés.
La vie se déroule, brillante et parfumée. Nous la traversons ou plutôt elle nous traverse et parfois nous ravage . En réalité nous ne sommes que le limon fertile de ses passages. Nous autres, irrémédiablement immobiles.
En attente d'un amour plus enveloppant que toutes les traversées antérieures.
Voilà ce que je raconterai à Capucine lorsque je la reverrai.
Mais il faut d'abord que je la quitte.
Hélène Phung 19 janvier 2017.

Jour 20, jour vain.
Rien. Excepté un merle becquetant de la neige après s'être goinfré de croûte de pain, des mésanges charbonnières attendant patiemment dans les buissons que le goulu leur laisse la place.
Un mail, ce matin, de Olivier Walter, évoquant rapidement Jaisalmer dans le désert du Thar, à propos du recueil de haïku: " Le vent de Jaipur", dont je lui avais envoyé une photo.

Comme... par hasard, suite à cet échange, j'ai retrouvé le bouquin de Théodore Monod, pourtant volumineux, que j'ai tant de fois lu, relu, perdu. C'est ma météorite à moi, celle que je cherche éperdument dans le désert de ma vie, dans la jungle de mes émotions.
Et soudain, quelque chose en moi s'écrie: " Terre! Terre!
Je relis avec ferveur les mots du voyageur, entre " Méharées" et "L' Emeraude des Garamantes" : les dits de tous les chemins parcourus, de toutes les nourritures ingurgitées, des innombrables boissons, lait aigre tété à même la mamelle des vaches peules, jus de fruits acidulés cueillis aux buissons des sables infinis. Les dits de toutes les embarcations d'eaux douces et salées, de tous les abris cases et hamacs, branchages posés à même la terre, et autres gites propres à garder le sommeil de l'homme à l'abri des bêtes sauvages et des intempéries.
A l' abri de lui-même, surtout, de sa propre peur.
" Terre! terre!"
Merles et mésanges envolés, enfin, la nuit a fini par tomber. Aujourd'hui c'est l'investiture de Trump, 45 eme président des USA. Dans la nuit noire, nous restons figés devant l'écran bleu. Retransmission, réseaux sociaux et vidéos postées sur Internet.
Un monde s'évanouit.
Un autre percera.
J'ai remis du pain emietté sur le rebord de la fenêtre.
Demain , sauf ajournement de dernière minute, nous serons le 21.
Nattages le 20 Janvier 2017 © Hélène Phung

 


Jour 21

Voilà, mon lieu préféré : au fond du lit. Mon heure fétiche : au bord du jour Juste à la frontière. Dans une sorte de noman lands. Un lieu sans territoire. Un temps hors humanité.

Ici, je suis dans ma niche ,mon centre subtil de régression, dans le silence des plumes d'oiseaux de la couette, sur un matelas à double face tourné côté hiver.
La baie vitrée donnant sur les montagnes n'es...t jamais occultée. Ni volet ni rideau. Les ondes astrales, les reflets de neige, le silence d'encre des nuits profondes, les chants de grillon et les cris sourds des bêtes , tout traverse les murs et les vitres .
Je n'écris pas: je me mets en écriture. Mon cerveau analytique étant encore vaseux, l' intuitif s'est automatiquement mis en route.
Celui des connexions absolues . Reliée au mystère par un dernier fil , je sens qu' il suffirait que je le remonte de quelques millimètres pour retrouver le souffle divin des commencements sans fin.
Suspendue à une nano seconde de ma propre réalité en ce monde ci, jai le loisir de m' étendre encore légèrement hors moi, avant de réintégrer la seule réalité viable ici -bas : ma lourde carcasse. Maison dans la maison, niche dans la niche.
Ce lieu organique dans lequel se love le semblant de ma conscience la mini étincelle qui parle et qui écrit.
Du fond du puits. Comme le crapaud qui lève la tête vers les constellations.
Alors le savez-vous? Il chante. Ce que nos oreilles humaines perçoivent comme coassement est un savant tressage d'ondes en direction des étoiles, un fertile accouplement à la lumière nourrissante de la vie.
Nous faisons partie de cette lourde cacophonie qui aux oreilles de Dieu sonne comme une prière commune. Un inépuisable halleluia.
Dans le vaste brouhaha du monde il s'agit d'entendre la subtile melopee.
C'est elle qui finit par me sortir du lit.
Allons bon re émergeons dans ce que nous appelons la vie.
L'existence est une odeur de café: sans cela nous resterions définitivement de l'autre côté.
Dans l'oreille de Dieu.

21 janvier 2017 © Hélène Phung

 


Jour 22
Tout est communication. On vient de découvrir pour la première fois une communication entre bactéries. Elles se parlent.On le savait, concernant les animaux et les plantes . Non contents d'étaler un vaste réseau céleste par les émanations chimiques de leurs feuilles , les arbres tissent aussi des entrelacs de diffusion souterraine par leurs racines. Cette image d'une discussion chevelue ... se déployant au-dessous de nos pieds me ravit.
L'infiniment petit semble en tous cas aussi volubile que l' immensement grand.
A tous les étages et dans toutes les couches de réel les musiques s'entrecroisent les histoires se tissent, le vivant vibre.
On sait que les sons ne meurent pas: nous évoluons dans un tissu d'ondes et de vibrations s'ajoutant à tous les bruits les chants les murmures les prières et les hurlements des hommes s'agglomerant sans fin. Tous les cris des animaux y compris les chants de baleine dont les os sont poussière au fond des océans. Tous les craquements de falaise, fêlures de montagnes, litanies sableuses des déserts évadés. Éclats de roche et zebrures de marbre, chuintements de feuilles et murmures nervures, jaillissements de spores et déroulements chlorophylliens. Depuis la nuit des temps la musique du monde se diversifie les sons se superposent en s'amenuisant.
Résolument poreux, nous absorbons.
Le silence n'est qu'un vague écho au bout du fracas.
Hélène Phung

Jour 23
Les plus belles choses que j'aime photographier sont l'oiseau et le bourgeon, êtres de tendre duvet.
La seule différence entre eux, c'est que l'un est extrêmement mobile quand l 'autre reste comme suspendu dans une très longue attente.
En réalité les deux sont en mouvement. J'aime la lente mouvance des chatons immobiles, imperceptible à l'œil nu.
Eclosion figée . Passage silencieux du brun au vert, du poil animal à la texture nervuree du végétal.
Comme une poétique régression.
Lentement, je regarde. Plus lentement encore, je me sais regardant.
23 janvier 2017.

 

Jour 25
L'an dernier, nous étions à Varanasi. Au crépuscule , les prières en sanskrit se déversaient si fortes sur les berges des ghats qu'elles noyaient le Gange lui -même. Les innombrables cerfs- volants , simples papiers de couleur delavee que des gosses invisibles promenaient en haut des terrasses et des toits , grevaient le ciel de leur présence chiffonnee.
Demi-oiseaux tenus en laisse à bou...t d'horizon, au -dessus du cercle flou d'une vieille lune presque à terme.

Quai mauve et gris, le long duquel des dizaines de barques flottaient comme dans une doucereuse substance de mort lenifiante.
Peu à peu, la nuit s'est epaissie. Notre barque a frôlé les bûchers de bois de cèdre et de santal. Les embarcations soudain se sont multipliees au point de remplir toute la noirceur des eaux. Les chants et le bruit des gongs ont fini de prendre le peu d'espace qui restait.
Tous ensemble nous avons brûlé, foule épaisse : femmes drapees dans des saris de couleur safran, pèlerins aux pieds nus, moines enveloppés dans des toges de coton épais, touristes ébahis et brahmans au visage couvert de peintures vives. Tous en un souffle, une seule et unique âme.
Et ce qui montait au ciel était joie. Pur joyau de vie. Etincelante crémation du soi, dans le crépitement du soir, de chaque côté du fleuve. Sous une lune devenue large et brillante, à laquelle semblaient vouloir s' amarrer ces milliers de corps en transit.

De cette longue, cette interminable nuit en nous déployée , il a bien fallu revenir.
La foule ne se dispersait pas. En Inde rien ne se vide jamais : tout bouge et se déverse sans fin comme les eaux du Gange.
Lorsque, ayant débarqué, nous sommes repartis dans l'autre sens, direction hôtel, où accoucher enfin d'un jour nouveau, amalgamés à une foule toujours aussi compacte , dans des rues encombrées ,plusieurs fois j'ai senti le regard de mon compagnon me cherchant .
Plusieurs fois nos mains se sont lâchées.
Jamais je ne me suis sentie si peu égarée, goutte d'eau dans l'océan de vivre.
25 janvier 2017 Helene Phung


Jour 27
Deux jours d'absence, et pas un mot pour le dire.
Je reviens avec du silence pour parler du silence. Ici j'imagine que le monde a continué.
Tout de même, s'il fallait combler le vide, je dirais: nous avons vu une aigrette aux pattes rouges se poser au bord de l'Oron, débattu des nombres premiers et bu , avant d'aller nous coucher , de cette tisane de tilleul qu'elle ramasse encore au jardin.
Rien d'autre.
La réalité semble plate. Un jour, on découvrira sans doute, qu'elle est ronde, qu'on peut la parcourir sans fin , et qu'elle participe d'un ballet dont nous sommes les éblouissants danseurs.
Tout le reste est encore à rêver.

27 au soir Retour de Lapeyrouse Mornay Hélène Phung

 

28 Janvier, nous entrons dans l'annee du COQ de FEU. Dont voici une représentation faite d'après un manuscrit tibétain daté du 17eme siècle. Cet Oracle se pratique depuis 1300 ans et s'intègre à d'autres formes de divination réalisées à partir des éléments naturels. L'habit rouge symbolise l'énergie du feu, élément de destinée. Le coq solitaire chevauche un Lung ta ( ou Cheval de Vent) sous forme de vague ou d'eau. Que chacun interprète cela à sa façon. Pour ma part je reste sceptique quant à l'horoscope chinois qui m'annonce une année de difficultés maîtrisées et de voyage. C'est mal parti car mon projet Québec semble s'effondrer. A moins que ce soit cela les fameuses difficultés. Si je lâche prise du côté du Quebec ( pour la 2eme fois consécutive -à analyser....) peut être que cet abandon m'ouvrira d'autres portes. Je sens un vague appel côté Islande. Un autre plus léger côté Vietnam. D'ailleurs, le poil du grand père qui avait disparu de mon visage est revenu. Il est blond, long à côté du nez. Quasi invisible aux yeux des non avertis. Ultra voyant aux yeux des "inities". On l'appelle ainsi car le grand père Phung avait exactement le même à cet emplacement là. Quand il reapparait, c'est que mon ancêtre vient m'habiter le temps de m épauler. Ce qui nest pas bon signe car cela présage des temps difficiles mais en même temps rassurant. Le gardien est là. Ce serait le dernier voyage de maman avant de partir regarder les choses d'en haut. Elle en a émis le voeu mais pourra -t- elle s'embarquer une toute dernière fois dans un tel voyage? Nous qui naviguons à vue depuis le commencement, nous nous fierons une fois de plus à notre belle intuition plus sûre qu'un compas de bord, à la carte du ciel greffée en notre coeur, plus probable que tous les systèmes GPS du monde. Grand -père nous fera passer de l'autre côté , quel qu'il soit juste au moment voulu . 28 Janvier HPhung
28 Janvier, nous entrons dans l'annee du COQ de FEU. Dont voici une représentation faite d'après un manuscrit tibétain daté du 17eme siècle.
Cet Oracle se pratique depuis 1300 ans et s'intègre à d'autres formes de divination réalisées à partir des éléments naturels.
L'habit rouge symbolise l'énergie du feu, élément de destinée.
Le coq solitaire chevauche un Lung ta ( ou Cheval de Vent) sous for...me de vague ou d'eau.
Que chacun interprète cela à sa façon.
Pour ma part je reste sceptique quant à l'horoscope chinois qui m'annonce une année de difficultés maîtrisées et de voyage.
C'est mal parti car mon projet Québec semble s'effondrer. A moins que ce soit cela les fameuses difficultés.
Si je lâche prise du côté du Quebec ( pour la 2eme fois consécutive -à analyser....) peut être que cet abandon m'ouvrira d'autres portes.
Je sens un vague appel côté Islande. Un autre plus léger côté Vietnam.
D'ailleurs, le poil du grand père qui avait disparu de mon visage est revenu.
Il est blond, long à côté du nez. Quasi invisible aux yeux des non avertis. Ultra voyant aux yeux des "inities".
On l'appelle ainsi car le grand père Phung avait exactement le même à cet emplacement là.
Quand il reapparait, c'est que mon ancêtre vient m'habiter le temps de m épauler. Ce qui nest pas bon signe car cela présage des temps difficiles mais en même temps rassurant.
Le gardien est là.
Ce serait le dernier voyage de maman avant de partir regarder les choses d'en haut.
Elle en a émis le voeu mais pourra -t- elle s'embarquer une toute dernière fois dans un tel voyage?
Nous qui naviguons à vue depuis le commencement, nous nous fierons une fois de plus à notre belle intuition plus sûre qu'un compas de bord, à la carte du ciel greffée en notre coeur, plus probable que tous les systèmes GPS du monde.
Grand -père nous fera passer de l'autre côté , quel qu'il soit juste au moment voulu .
28 Janvier HPhung

Jour 30
Réveil trouble et confus, comme si je revenais de nulle part. Ou peut-être de terriblement loin.Je ne ramène plus rien de cet au-delà . Le passage est difficile de ce monde à l'autre .
Autrefois je faisais tour à tour deux rêves récurrents dont je gardais le goût immense tout au long de la journée .
Comme si la transe nocturne déployait ses ailes pour me faire survoler le quotidien.Je viv...ais en quasi lévitation toute la journée.
Si mes pieds ne decollaient pas du sol, mon esprit restait néanmoins comme légèrement décalé au -dessus de moi. J'étais perchée au sens propre du terme. Oiseau de mes ailes.
Le plus tenace de ces rêves était celui du vol. Aériennes sensations. J'ai testé une myriade de fois toutes les positions de l'amour allégé. De la grâce relâchée.
Bras tendus et corps fondu dans l'espace lorsque l'on ne tente plus rien de la matière que son vide et son implosion à la fois.
Alors le serpent devenu crocodile ,oiseau cosmique au- dela des ecailles et des plumes, des torsions infinies d'un segment d'ADN, explore au coeur de ses propres voltiges le vide nourricier.
Nul besoin de consommer du breuvage des lianes -serpents qui vous initient au mystère de la terre .Ni de gouter à celui des lianes-étoiles qui vous propulse, petit caillot de sang, vaste comme une météorite dans le corps astral.
Le rite est inscrit en moi. Parfois même je me demande si je ne constitue pas un rite incarné.
J'ai accepté que l'on me coupe les ailes afin que je me réconcilie avec ce qu'il y a de serpent en moi.
Mais les nuits sont devenues si profondes, sans étoiles et ce gouffre a l'intérieur de moi même, pareil à un trou noir qui me contamine...
Ah, cette intime conviction chaque matin de revenir d'où l'on ne revient pas!
Je finis par croire que tout est infini même la finitude des choses.
Nous parcourons un ruban de Moebius inscrit dans nos gènes eux mêmes inscrits dans une courbure de l'espace temps lui même n'étant qu' un nano millimètre de la courbure de l'oeil divin dont nous sommes le regard infini.
Chaque aube reste un passage étroit.
Comme si le réveil était un endormissement, et l'entrée dans sa propre nuit une échappée vers l'immense en soi.
Alors s'endormir ne serait pas entrer dans sa propre nuit mais en sortir.
Voilà pourquoi je ramène de moins en moins de songes de là bas: parce que j'ai un mal infini à m'endormir dans l'ici.
Hélène Phung 30 Janvier 2017

Jour 32
Un rituel s'installe. Chaque jour est écriture.Sans encre ni papier, sans le bruit rythmé de la machine à écrire. Quasi virtuel. Très légères pressions sur un écran tactile: dans un silence enchanteur, j'écris du bout des doigts .

Communication par le toucher comme les aveugles. A force, j'ai développé une extrême sensibilité du bout de l'index droit principalement, qui est devenu or...gane communicant magique.
Le mot n'est pas trop fort: instantanément des amis vivant aux antipodes sont reliés à mes émotions, mon moi profond. Partage quasi instantané de ma pensée comme si mon énergie se déplaçait plus vite que la lumière pour atteindre les coeurs. La distance est dissoute.

Le temps de la parole et de l'écriture s'inscrivent désormais dans le présent. Temps et espace abolis, afin de communiquer hors tout, à propos de ce temps et de cet espace justement.

Les informations partent de ma conscience et de mon cœur réunis, se focalisant instantanément sur un doigt agile qui dirige les impulsions. Tout se joue au bas d'un clavier de poche sur quelques centimètres carrés . L''information codée s'envole jusqu'à un satellite, portée par un faisceau d'autres ondes concomitantes, issues de milliers de doigts tactiles. L' écheveau se débrouille, redescendant sur terre, pour se traduire instantanément en lettres d'un langage codé sur des centaines d'écrans de téléphone et d'ordinateur . Tout cela, passant par la fibre optique s'imprime dans les rétines et dans les cœurs.
A l'autre bout du monde un pouls bat plus vite.

Comment désormais pourrai je écrire autrement? Je veux toucher vite, instantanément.
Non pas imprimer à long terme . Sur du papier .Mais que ça simprime tout de suite.Dans la chair.
Et puis ça se perd?

Qu' importe, repondrai-je. Nos écrits nous ressemblent et nous ressemblons à nos ecrits.
Nul besoin de nous retourner .
Nous savons que nous nous perdons à chaque instant mais aussi que chaque instant perdu nous prolonge indéfiniment.
Tout nous est pris et tout nous est restitué.
Je n'ai rien d'autre à exprimer que ce paradoxe là.
En définitive, nous avons très peu à dire, mais nous ne voudrions jamais cesser de raconter.

1 Février Helene Phung

 


Jour 34.
Cette nuit, j'ai rêvé de lui. Depuis le commencement, je lui parle et je sais que parfois une force étrange issue du plus profond de mon désespoir m'a aidée. C'est là qu'il se cache .Au début il a fait des signes si lisibles que nous étions, Cléa et moi, abasourdies .
Seule, sa grand mère ne s'étonnait de rien. Ni des étoiles filantes au mois de février, ni d'oiseaux d'habitude craint...ifs venant longuement chanter juste sous nos yeux. Elle nous a même parlé tout naturellement d'un nuage un peu froid venu la visiter à l'intérieur de la maison et qu'elle aurait pris dans ses bras, en reconnaissant son petit.

Il est à l'intérieur et à l'extérieur. Aux frontières, en des lieux où se postent les âmes mais que n'habite plus nulle chair.
Pour la première fois en deux ans je l'ai rêvé. J'ai pu toucher sa peau, respirer son odeur, caresser son front moite et, à travers sa fièvre lui dire que je l'aimais. J'ai embrassé sa maladie.
Au réveil il me faut bien reconnaître que l'âme de nos défunts ne nous suffit pas, le manque immense reste bien celui de notre propre chair. Plus rien à etreindre sentir, respirer, alors que l'humaine condition reste attachée aux sens.
Certes, de l' enfant dans les bras tenu, j'avais fait mon deuil depuis longtemps, les senteurs de lait dans le cou, sur la nuque, et le petit corps qui vient se loger au creux de vos bras où il tient tout entier, tout cela dont on est peu à peu sevré car la vie fait grandir , mûrir et mourir,
Cela on le sait.
Mais quand soudain plus rien ne reste à tenir du tout!

Ce rêve traduit mon manque, ce vide béant.
Un garçon adulte, bien sûr, ca ne se touche que du bout du regard, on effleure sa peau le temps furtif d'une bise juste avant qu'il ne reparte pour des mois , peut- être une pression de la main dans un moment de grande complicité , un échange de lueur du fond de la prunelle, une infime reconnaissance, et l'on est rassasié.
Mais lorsque plus rien ne reste d'autrui que son âme, aussi grande soit -elle, alors celui qui reste tout en bas comprend combien il est fait d'animalité et de matière.

Lorsque sa grand-mère est allée lui faire ses adieux une dernière fois à la morgue, je lai vue tourner autour de son corps , en toucher chaque partie en egrenant un souvenir qui y était attaché, et en marmonnant une étrange litanie.
Elle lui disait "Rappelle toi, mon petit, ce corps je l'ai lavé, ici sur le genou où tu t'étais égratigné, j'avais déposé un baiser, là sur ta main très souvent j'ai brossé le sable, ici dans ton ventre tu as eu mal et j'ai caressé jusqu'à ce que ça s'en aille. .."
Elle a tourné ainsi longtemps autour du corps, énumerant un à un tous les endroits. L'après- midi, elle avait voulu y retourner, comme si elle avait oublié une parcelle. Je l'en avais dissuadé. Je n'avais pas compris combien il était important pour elle de se séparer de chaque partie physique de son petit- fils, pour quelle puisse mourir de lui en paix.

Voilà , j'ai fait ce rêve qui m'a laissé l'impression au réveil d'avoir tenu une dernière fois son corps et peut -être de lui avoir dit adieu.
Si j'avais compris toute la profondeur de la ronde de la grand -mère , autour de la dépouille , certainement, avec elle , en pleurant , j'aurais dansé.

03 février © Helene Phung

 


Jour 38
Les jours sans écriture sont des jours trop pleins et non l'inverse. Car la vraie vie bien évidemment se déploie à l'extérieur. Hors marge, hors écran. De même que la pensée se déploie hors matière.
Elle n'est pas dans l'écriture, elle ne se situe même pas dans ce que l'on croit être la vraie vie.
Souvent le soir avant de m'endormir j'essaie d'attraper cette chose en moi .
Ce truc indef...inissable non mesurable indicible inaudible inodore qui échappe à toute définition et à toute spéculation.
Le moi leger de notre part végétale. Le vide fusionnel caché dans la matière même de notre chair. L'espace étoilé entre nos deux sourcils d'où s'epanche la vibration première quand nous atteignons le visage de Bouddha.
A la fin, je sombre dans le trou noir du sommeil. Je suis le fruit de chaque black out dont je me relève au petit jour .Mais je ne desespere pas de retrouver soudain la mémoire de tous les lieux visités , le joyau abrupt des sommeils accumulés.
Pour l'instant, il est juste l'heure de réveiller moi en moi et l'envie de la réveiller.
Hélène Phung 7 février

J'ai perdu le décompte des jours, la grande carte des mondes et des sous -mondes. Ce chemin des racines secrètes .La capacité d'émerveillement est là encore mais ne sait où se poser ou plutôt je ne sais plus qui s'emerveille.
De plus en plus je me sens étrangère à la chose accomplie, au désir sous -jacent qui tend la corde des sens , le fil fragile de l'histoire.
Et pourtant le miracle a lieu, c...haque seconde: la vie se déroule millimètre par millimètre sous un regard ébloui qui renvoie à la présence effective de globes oculaires, iris pupille et toute autre réalité organique apparemment issue de mon être.

Dehors, le noisetier bourgeonne et le contemplant, je me perds à tout jamais au bord de l'oracle.
Sinon qui d'autre regarde?
Hélène Phung