J'ai toujours rêvé d'être carnettiste comme mon ami "Lapin" de Barcelone... mais je ne suis pas douée pour croquer à coups de dessins, alors depuis que j'ai repris la plume, je
"croque" avec les mots.
Des carnets m'accompagnent chaque jour, avec ou sans voyage sinon celui intérieur de mes émotions et mes souvenirs...
Voici quelques court extraits. Peu à peu je mets en ligne...
Bien des feuillets à rassembler et retrouver, la grande oublieuse que je suis a enfin compris qu'elle devait dater ses pages au lieu de les laisser s'envoler au vent .
( sauf au VENT de HAIKU bien sûr... ) mais ça c'est une autre histoire, dirait la conteuse...
Je suis cette voyageuse sans âme, d'une écriture sans carnets, parfois je m'arrête au bord d'une rivière, dont je sais les eaux troubles, le langage intime: roulis de pierres ou silence laiteux
des ombres en chemin. Mais qui marche dans mes pas, qui déjà se relève et chante, debout en attente d'une destination nouvelle?
Ni le temps ni l'absence, je n'ai rien vu passer qu' une libellule emportant dans son vol toute la grâce de l'instant foudroyé... © Hélène PHUNG
Lectures,photos & anecdotes en marge du "CARNET SANS VOYAGE" de Hélène PHUNG:
" Si le voyageur devait définir une dernière fois l'épreuve de sa mésaventure (au sens de non-aventure), ce serait ainsi: apprendre à supporter l'immobilité. Une immobilité qui peut être celle de
la pierre, mais qui est aussi celle de la mer et des nuages: un mouvement perpétuel qui se dissout lui-même dans le cycle de sa répétition."
" Le VOYAGEUR EVEILLE ". Nicolas Bonnal
Suite du feuillet du 28 Octobre 2014 d'un CARNET SANS VOYAGE - Hélène PHUNG - Tous droits réservés-
Là -bas, au bout de la France dont je reviens à peine, et plus loin encore, un artiste de land art a posé des pierres sous un arbre en pensant à moi, qui voyageais aux côtés d’une jeune peintre
péruvienne. Tandis qu’il œuvrait en silence, elle a parlé. Tout le temps du voyage mes oreilles ont été bercées de la lancinante mélopée de la vie qui se raconte et puis se tait, c’est
...cela vraiment que j’aurais aimé dessiner si j’avais eu encore un peu d’âme au bout des doigts, et puis bien sûr il y
avait ce livre qui m’attendait dans la boîte à lettres, les mots de Paul l’ami poète que j’avais oublié d’avoir oublié. Comme il faut chercher loin ce que nous sommes encore…
« Carnet sans voyage » © Hélène PHUNG 28 Octobre 2014
(Photographie prise au Portugal Côte atlantique )
CARNET SANS VOYAGE Extrait de la page du 28 Octobre 2014
Le vent souffle ou ne souffle pas, qu’importe, tout est affaire d’humeur. J’ai longé les trottoirs du Mans comme on longe un port amarré de bateaux en partance, d’immenses voiliers en manque de
vagues. Nul besoin de lune ni de boussole, me voilà rendue. Revenue au point zéro de mes chères montagnes, c’est là que tout a failli, même moi...
Les pigments dont me parlait Blandine, et que je serais allée chercher du côté de Marrakech si seulement j’avais eu l’ombre d’une seule idée à dessiner, et le souffle d’un carnet dans la poche,
or je ne transporte rien que mon âme en étoile, un corps de moins en moins à l’image de mes images, un cœur à bout de rythme et des pas de danse sous les semelles…
« Carnet sans voyage » © Hélène PHUNG
Il y en a qui m'aiment trop et d'autres pas assez; aujourd'hui les feuilles tombées rouges des arbres faisaient des tâches de trop sur le gravier... Mais les gens ne faisaient que passer, comme vous, comme moi, comme octobre, qui d'ailleurs déjà s'en va. Je ne regrette rien, si... Un carnet de cuir que j'ai failli acheter, j'y aurais inscrit la date d'aujourd'hui et rien d'autre, tout le reste serait resté en silence au fond de ma poche, et ce silence, c'est sûr, je l'aurais emmené partout avec moi, il ne m'aurait plus jamais quittée. Parfois, la seule chose qui vous reste est tellement plus vaste que vous- même, que c'en devient une terre, un ciel, et le chemin de ne pas y aller. © Hélène PHUNG " Carnet sans voyage" Le Mans 23 Octobre 2014
CARNET SANS VOYAGE 24 AOUT 2014
Bien sûr, je pourrais écrire sous l’écorce de l’arbre, dans la soif verte des encres, je pourrais attenter à la pudeur de l’été évadé, (il a plu tout le temps, heureusement que nous sommes
descendus en Italie), au lieu de ça, je vais à Ikéa acheter trois cadres vitrines dans lesquels j’épinglerai mes papillons de papier, et autres choses pliées, j’imagine ce que j’y mettrai,
depuis ton cœur jusqu’à la cartographie de nos journées celles que no...us avons vécues et puis d’autres de mon histoire
d’autrefois car il y eut un avant et un après…
Mais je cours vers maintenant, ce moment qui n’existe que deux secondes, celui de la capture ,de l’instantané.
Ce matin sur la route tandis qu’on roulait, j’ai saisi soudain mon appareil photo et j’ai pris mes pieds posés contre la vitre , un arbre qui filait plus vite que le vent. On a acheté 2 pizzas qu’on a mangées en route, et puis on est rentrés. Je préfère les longs voyages ceux où on ne fait qu’avancer, quand demain est nulle part encore , alors le temps s’allonge, les rivages se ressemblent, on peut dormir ou marcher, se taire ou parler, rien n’aboutit que le commencement d’une chose pour en clore une autre et ainsi de suite indéfiniment. Acte après acte, en toute divine légèreté. Boire un café ne prend aucune place, simple incidence collée aux quelques notes de musique d’un accordéon qui se trimbale dans la rue, juste derrière le kiosque, et déjà ailleurs s'en empare, ailleurs est là, mais qui s'en souviendra ?
On est revenus en passant par la même route qu’à l’aller, sauf que c’est moi qui ai conduit, je ne sais pas à quoi j’ai pensé tout ce temps là, peut -être que je finirai moi aussi par trouver les mots justes et qu’ils seront simples , Kérouac traînait dans ma tête. Nous avons su enfin arriver, avons retrouvé les arbres du jardin, ceux qui n’ont toujours pas livré leur fièvre de papier, j’ai oublié de sortir mes cadres de la malle, nous sommes rentrés dans le creux d’un songe, tant pis on attendra l’automne.
© Hélène PHUNG « CARNET SANS VOYAGE »24 août 2014
CARNET SANS VOYAGE, nous voici à SAN CAESARO, au 31 JUILLET 2014
Il faut bien l’admettre : le but n’est pas tant de partir loin géographiquement que d’aller vers maintenant.
« Je sens que tu n’es pas là, en ce moment » m’a dit mon compagnon. Alors, minutieusement, il a préparé les cartes. Le monde est incroyable : il suffit de chercher un lieu avec Google Maps,
on survole le globe comme à bord d’un satellite, puis on se rapproche, à vue d’avion on peut discerner les grandes ...lignes du paysage, les creux et les reliefs , enfin à vue d’oiseau reconnaître les routes et les forêts, les bâtiments, les piscines et les voitures garées Alors nous
survolons ensemble, Christian et moi, comme deux être ailés. Oui, l’Italie : moi, je cours après la lumière, l’eau et le ciel. Va pour l’Italie du sud, on décroche d’un quart de tour et on
dérive vers Modane.
De là-haut, on peut voir que toutes les plages sont bondées de parasols à perte de vue, des kilomètres et des kilomètres de littoral greffé de chaises pliantes. Descendre plus bas, mettre le
curseur plein sud, le long de la côte adriatique, enfin quelques plages vierges à partir de Vasto dans les Abruzzes, on sent que ça respire...
C’est là que nous irons a conclu mon compagnon, pas plus loin que Bari, après on revient.
Et nous voilà pas loin de Galipolli. Si ça continue, on finira dans les Calabres. De toute façon après il n’y a plus de terre, il faudra bien finir par remonter.
Pour l’instant chaque soir nous cherchons un endroit où nous poser, dormir, rêver de la journée passée, dans le temps immobile de la nuit, et chaque matin nous sommes en quête du lieu où
vivre aux heures vibrantes du jour de quoi alimenter les rêves de la nuit prochaine.
C’est un cycle sans fin, un circuit fermé qui me plait, m’arrondit les espaces, une bulle comme dans le ventre d’un rien en gestation. Respirer, avaler de l’eau par la bouche et tous les
pores de l’épiderme, ouvrir les yeux, battre des nageoires, en laissant ciller les branchies au rythme des marées intimes. Se laisser bercer par les kilomètres qui se déroulent comme une
longue rivière de plus en plus familière.
Le lieu de cette dérive lente, c’est maintenant, toujours. Je m’y épaissis, j’y prends de la graine. Je m’accroche.
Bientôt, ça formera un caillot de sang. La chair prendra tout autour, des moignons de main écloreront et les cavités des yeux se creuseront : deux globes oculaires comme deux boutons de
rose.
Je flotterai longtemps dans ce sommeil sans nom, au creux du lent bourgeonnement, mais qui verra du haut du ciel ce silencieux déploiement, qui saura la force de constellation nécessaire
à une telle poussée ?
Moi même je l’ignore, qui ne suis pas encore née à ce jour.
© Hélène PHUNG " CARNET SANS VOYAGE" 30 Juillet 2014 San Caesaro, Italie.
Santiago de Compostela , les pèlerins venus du monde entier marchent et prient, les marchands du temple vendent croix celtiques et coquillages d'argent, musiciens et artistes chanteurs,
troubadours des rues apportent la musique de leurs coeurs, beaucoup de jeunes sans travail mendient, tête baissée, les chapeaux devant eux étalés restant désespérément vides. Débordements de
bénitiers, et sécheresse des coeurs, Santiago est à l'image de notre monde... © Hélène PHUNG, conteuse-voyageuse
Ce soir mon cœur pèse 250 pages exactement. Je les ai écrites en deux mois et demi à peine, puisque j'ai commencé le 20 mars 2014 pour finir le 13 juin de la même année, ce qui peut paraître court, mais il faut dire que j'avais 30 ans de silence à rattraper, un nom retrouvé par hasard sur internet à habiller d'une présence longtemps oubliée, un amour à redécouvrir, et surtout cette longue absence à moi-même: une amnésie à combler.
Comme il est difficile de renégocier le... passé, de peupler les béances de sa mémoire d'odeurs, d'images et de
paroles,une à une reconquises sur le terreau muet du cœur, de réécrire un scénario déserté.
Mais cela, je l'ai fait, nuit après nuit, mot après mot, tout en gardant le contact avec la vie, avec mon compagnon et mes enfants, avec tous mes amis visibles et invisibles, avec lui, qui me
suivait de loin, du bout de ce monde que j'aurais beau parcourir en long et en large, postant des cartes et des photographies, jamais rien ne se rattrape du temps perdu, des mots non
prononcés et des actes non accomplis, le destin se joue toujours trop tard, une fois clos son mystère.
Alors on reste pauvre, même si l'on a, à force de persévérance rebâti une vérité: pauvre de soi, délesté du sens profond qu'on aurait tant voulu imprimer à sa vie, et l'on sait que le voleur de ce bien inestimable n'est autre que soi même.
Et moi, je suis plus pauvre que cela encore, puisque je crains d'avoir perdu une deuxième fois celui que je viens juste de retrouver, puisqu'il me faut apprendre le désamour au moment où je viens de toucher du bout des doigts le temps des désirs naissants, puisque ces pages que j'ai enfin écrites, ne feront probablement jamais le livre de ma vie, pour la simple raison que je crains de finir ce qui reste à finir.
Il se peut que ce lieu de suspens reste à jamais mien. Je pourrais planer, tel un oiseau dans cet entre-deux... A mi chemin entre hier et aujourd'hui. Ce qui fut écrit, et ce qui ne sera jamais lu.
Mais non, il me faudra bien clore cela, exister vraiment.
Ajouter de la vie à la vie, fabriquer des souvenirs, pour plus tard, quand il sera temps encore, de se rappeler...
© Hélène PHUNG 17 juillet 2014 - A propos de ce livre que je publierai peut-être-
Ce matin, j’ai cueilli une pierre pour l’offrir à la pluie. Trempée au bord de la mare comme autrefois lorsque je restais debout devant l’œil du jardin, contemplant le ciel du haut de ma vie si brève qu’elle avait des relents de coquelicot et d’herbes mouillées. Rentre, tu attires l’orage criait ma mère depuis la fenêtre entr’ouverte, mais je n’avais pas envie des nappes à carreaux , des odeurs de friture ni des lentes berceuses de la radio allumée, juste un irrépressible désir de têtards et de libellules, de ver de terre se tortillant dans la main et d’escargot coincé sous la sandale. Le monde avait le goût des fleurs de pissenlit écrasées et cette souffrance gratuite du hanneton attaché au bout du fil. L’entendre vrombir dans son besoin fou de s’envoler plus haut que le ciel de nos jeux terrestres, tout cela a tâché mes poches et mon cœur de la cruauté du monde, de ce sentiment trouble que nul ne saurait s’en évader vraiment, sauf à lâcher l’alevin et le cerf volant, les laisser délibérément s’évader plus loin que nos sens affamés, échapper pour toujours à l’emprise de nos rêves. L’un se fondait dans la rivière, l’autre repoussait plus loin les limites intangibles de l’espace …Quand à l’insecte bruyant il ouvrait soudain dans sa fuite inespérée un royaume de silence à nos oreilles incrédules. Moi à la croisée des chemins, je me contentais de jeter des cailloux dans l’eau pour jouir de la vague concentrique qui mourait à la périphérie du regard.
A force de ricochets et de pluie déversée sur ma tête, j’ai fini par inscrire la notion du temps dans mes gènes, maintenant je compte les rivières traversées et les galets empilés, mais le début de chaque orage touche en moi cette partie restée infirme, ce reliquat d’âme enfantine debout devant la source du monde où rien encore ne s’est écoulé que la magique absence à soi-même.
© Hélène PHUNG « Carnet sans voyage » 17 novembre 2014
11:36
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Il y a dans le silence de chaque graine
une longue chanson de vent... © Hélène PHUNG 21 mars 2015 |
Il est tant de cheminements intérieurs et autant peut -être de reliances au monde, de circuits mémoriels par lesquels construire un vent debout, un sens à être.
Je viens de tomber par hasard sur un échange entre Frédéric et Lois Oppenheim à propos d'un de ses manuscrits, commentaires en ligne sur FB : tous deux échangeant quelques souvenirs en viennent au moment de leur rencontre, à l'occasion d'un colloque Butor à Kingston en 1990 selon Frédéric, ce dont elle n'est pas si sûre... J'ai cultivé la mémoire des dates, pour ma part, et j'associe toujours un lieu à une date, et inversement, c'est le seul moyen de m'y retrouver dans le chaos géographique de mon existence, lui dit il. Et j'ai gardé une image photographique de la première fois que je t'avais vue et parlé, car je crois que tu dirigeais la séance où j'étais intervenu ( sur la correspondance de Butor): tu portais un tailleur à carreaux blancs et noirs, il me semble...Ayant affirmé cela, il cherche et trouve les actes du colloque qu'il met en ligne comme signe de preuve évidente.
Nous nous sommes donc rencontrés entre le 4 et le 6 octobre 1990, il y a 25 ans, 5 mois et 5 jours.
Réponse de Lois: Oui pour la publication. Non pour le tailleur, certainement pas. Tu n'as jamais porté de costume blanc et noir,? s'inquiète Frédéric. Non, jamais un tel costume... Alors peut -être gris suggère notre ami. Ma mémoire photographique me trompe parfois, avoue t-il. mais d'enchainer aussitôt: j'avais aussi rencontré Elinor Miller à Kingston, mais au deuxième colloque, en 1996 (pour les 70 ans de Butor). Nous sortions fumer sur le perron. Elle était habillée en bleu.
Cet échange est d'aujourd'hui 11 avril 2016 Il a débuté il y a 5 heures à Mexico, en direction de New York,( il est précisément 8h 39 en France donc compte tenu du décalage horaire etc...)
et concerne le Manuscrit du texte "Opus 133" ' voix sur la grande fugue de Ludwig van Beethoven pour la chorégraphie croisée d' Emmanuelle Vo-Dinh, créée à St Brieuc en 2004 et Paris 2005.
Je cite moi aussi le maximum de références, afin que dans 25 ans , 5 mois, 5 jours nous gardions intact le souvenir de cet instant où j'aurais écrit ces lignes, et de celui où nous nous serons revus après une trentaine d'années, sans contact l'un de l'autre, Frédéric et moi, au cours d'une lecture croisée à Chambéry, avec le poète Patrick Chemin. grâce à qui nous nous sommes retrouvés, comme quoi tous les chemins ramènent aux mémoires perdues.
Juste pour la petite histoire: en ce moment même, je porte une tunique noire sur un pantalon à fleurs automnales, un léger vent d'est apporte par la baie vitrée entr'ouverte des senteurs à peine esquissées de forsythia en me^me temps que des chants d'oiseaux buissonniers.
Je voudrais aussi évoquer la couleur du ciel mais comment tout écrire, comment tout garder?. D'ailleurs il se pourrait bien que dans 25 ans notre mémoire aura doucement glissé vers des lieux sans nom où plus rien n'aura d' importance, puisque les jours et les heures s'y mêleront, et que j'y porterai toujours la même éternelle robe, comment déjà, Frédéric?
Marron tu en sûr?
11 avril 2016 Nattages
J'ai vraiment hâte de voir ce que tu vas écrire demain m'a dit Marie Hélène. En fait, comme bien souvent, je me jette sur mon téléphone portable les yeux encore froissés, et la tête vide pour
tapoter du fin fond du lit quelques signes de vie. Juste histoire de dire. En fait, il s'agit avant tout d'emerger de la matiere par un cri comme le fait le nourisson dans sa première goulee
d'air.
Mais ce matin je reste obnubilée par le souvenir de cette phase car je ne devine que... trop bien tout ce quˋ elle sous
entend, et cette attente d'un compte rendu de la journée d'hier me paralyse.
Est on vraiment obligés de raconter? De coucher par écrit comme on dit. J'adore cette expression terriblement grivoise. Mais je crois que je préfère encore "passer sous silence".
Toute la maisonnée sommeille, le chat y compris. Par la lucarne j' entrevois le ciel de Paris moins dix minutes. Le lointain brouhaha des rues réchauffe lentement mes oreilles. Doucement je
reviens à la vie au monde aux secrets. A la magie du corps. Aux riens qui se tissent autour d'un silence dont nous ne cesserions d'hériter minute apres minute. Minutieusement.
Je me sens dépositaire de ce lourd héritage. D'un Saint Graal qui pousserait sous nos pieds à la vitesse de nos pas et que nous ne saurions cueillir.
Je voudrais ralentir davantage encore ces longues minutes d'inertie , le corps emberlificote dans les draps, l'esprit dans un demi sommeil . Cet état second d' un monde pas encore rendu à
lui- même, la promesse d'un Paris qui s'étire avant l'eveil : toutes ces micro secondes d'une prolongation inutilement delicieuse, délicieusement inutile.
Et tout le reste le passer sous silence...
Helene Phung "Carnet sans voyage "3 avril 2016
Ce que nous avons accompli là, est-ce réellement un voyage? Deux fois nous nous sommes arrêtés en chemin pour nous dégourdir les jambes, aller aux toilettes, boire un café .Moi comme d'habitude à
la recherche d'un livre dans ces lieux improbables où de grandes orchidées sont peintes sur chacune des porte s des toilettes si bien que l'on y entre comme dans un jardin. Puis l'on se sèche les
mains aux courants d'air électriques avant qu'un gobelet de capuccino à la noisette ne v...ienne finir de vous réconforter.
De quoi? D'une longue peine indicible.De la douleur à peine avouée d 'avoir laissé une fois de plus derrière vous un je ne sais quoi qui soudain à 500 kms de distance vous paraît précieux. Bien
sur il ne s'agit que dune myopie du coeur dont on ne guerira jamais. Alors en attendant ,dénicher au rayon papeterie , entre les cartes de France et les carnets de coloriage zen où sont dessinés
des carpes kois et des lotus en noir et blanc ,à remplir de taches de couleurs crayonnees , le livre inattendu, celui qui occupera le temps mort.Pas trop de texte, de belles illustrations, le
modèle même de livre d'images que l'on parcourera à la vitesse des arbres défilant le long des routes, dans un sentiment de beauté accomplie. De vrai voyage non déserté.
Ma bibliothèque est remplie d'ouvrages ainsi associés à un periple sans saveur ni souvenir dont il ne reste qu'un titre et un tas de feuilles reliés. J'aime leurs inconsistantes histoires
épinglées à la mienne, alignées sur une étagère d'un lieu fixe perdu au milieu des étoiles des étés et des jardins sans fin, que rien ne viendrait bouleverser pas même le temps .
Carnet sans voyage Helene Phung 2 avril 2016 l'Hay les Roses
J'ai décidé de ne plus couper un centimètre de ma crinière de Viet mal coiffée. Je garde mes antennes pour l'au-delà, comme le faisaient les indiens d' Amérique et comme le font encore les sikhs que j'ai pu croiser en Inde du Nord ( "Ô mon âme, tu es l'incarnation de la lumière,Connais ton Essence "...etc...)
Mais une telle allégeance n'est pas sans problèmes d'ordre pratique: comment entretenir cette masse soyeuse sans qu'elle ne devienne pour autant un nid à oiseaux, comme... il advint, parait il, d'une nonne bouddhiste qui contrairement aux usages décida de ne pas se raser la tête ni de se couper les
ongles, encore moins de laver sa tunique à grandes eaux, afin de garder sur son propre corps et dans ses vêtements des lieux de refuge naturels pour animaux transis.
Ce que je raconte allégrement à ma Luce, qui inspecte alors son corps potelé et les diverses poches de son manteau, afin de chercher tous les endroits et recoins où cacher pies, grenouilles
et sauterelles, quel beau fantasme pour une fillette!
Bref, il s'agit tout de même de démeler ,de temps à autres, cette chevelure rebelle et une fois par semaine de la laver, de la racine , si proche du lieu clos des songes et des idées,
jusqu'aux pointes extrêmes libres et volatiles, amies des grands vents.
Ce que je faisais hier dans ma baignoire, avec un shampooing oublié par une amie de mon fils lorsque je restais hallucinée par le nom du produit: " OLIVE MYTHIQUE" (je ne vous citerai pas
la marque, mais vous la trouverez dans les rayonnages actuels de tout supermarché.)
Ayant détruit et dépossédé la nature , effacé tout sens au mot ' naturel" voilà qu'à bout de ressource, on dévaste et dévitalise le " surnaturel"! Il n'importe, comme je suis une squaw
lettrée mais en même temps un rien perchée, j'ai décidé de prendre "à la lettre" le motif publicitaire.
Ayant enduit, frotté et lavé ma tignasse à " l'olive mythique", je me suis ensuite mise en état de méditation, et telle une sikh, j'ai récité comme un mantra: "Connaissant ton Essence, tu
connais ton Seigneur,
Et tu connais le mystère de la naissance et de la mort.
O mon âme, tu es l'étincelle de la Suprême Lumière..."
Pas de doute: mes cheveux sont propres, lumineux...
© " Carnet sans voyage" Hélène Phung 27 février 2016
Faisant ce voyage en négatif, j'ai remonté jusqu'à la source incertaine d'un carnet qui trainait au fond d'un bagage. Je me suis souvenue de cette échoppe à Jaïpur où pendait un sac à dos en peau de chameau. Du même animal sans doute, m'étais-je dit, que celui qui était en train de boire à la fontaine, tenu en laisse par son maître. J'avais fini par acheter ce sac, malgré les réticences de mon ami (il est vrai que j'accumule sacs et carnets comme une maladive collectionneuse ...de peaux et d'écritures...)
Depuis longtemps, j'avais aboli toute notion de temps et d'espace, alors tout restait cohérent dans mon extraordinaire, bruyant dans mes silences.
Rien ne devait rester immobile . Tout devait se ruminer, se prier, s'écrire à la lueur d'une bougie dans un coin du monde où les coupures d'électricité remplissaient tout le temps,
débordant parfois jusqu'à la vraie nuit.
Bref, au fond de ce sac, précisément trainait un vieux carnet griffonné d'une si seule et si droite écriture que je fus bien en peine d'y reconnaitre ma main, le souffle de mon propre
corps dans ses immobiles partances.
Ce n'est qu'à la toute dernière ligne que je compris qu'il s'agissait de ce voyage là et de nul autre, que le tout avait été accompli et que j'en étais revenue. Ni plus lourde, ni plus
légère. A peine différente, à peine plus âgée, toujours aussi perdue et heureuse de la précieuse liberté de s'égarer en soi-même, histoire de converser avec les morts et de tricher avec
les vents.
Mais pourquoi écris-tu tout ça me demanda mon compagnon?
Ca a de moins en moins de sens, et même plus du tout à la longue.
C'est vrai? ai-je demandé, alors tant mieux, c'est que je suis enfin arrivée.
© Hélène PHUNG -CARNETS SANS VOYAGE - Janvier, Février 2016 Jaïpur (Inde) La Pierre ( Isère) Photo H Phung "Lumière du matin à Nattages en Février 2016".
Internet m'a manqué, ce lien constant avec le monde, cette façon sourde de se relier comme au placenta des autres lorsque l'on se déserte soi-même...
Et puis il a bien fallu respirer en dehors de ce circuit pour ne pas suffoquer. Le noyau a durci, ce noeud au fond de l'existence qui n'était rien que le lent et vertigineux déclic à
soi-même. Là où tout est concentré: os, moëlle, peau, désir et mémoire.
En remontant encore, toucher au lieu d'avant l'écriture, d'avant même la p...arole, dans le silence existentiel.
Une pureté de neige comme sustance himalayenne pour tout poumon, pulsation inorganique, issue du mystère même de la fonction respiratoire. Chant cellulaire des étoiles.
Je suis née enfin de ce trouble, de cette buée que produit le vivant à la surface de son propre épiderme en contact avec la réalité minérale.
Autour de cela, c'est dehors qui commence.
© Hélène Phung "Carnet sans voyage" Février 2016 Notes sous le ciel étoilé de Nagarkot ,Népal - Nattages le 11fev. aux aurores
J'ai fait un autre voyage que celui que nous avions avorté en janvier 2015 parce que tu réalisais le tien, le dernier; c'est même moi qui ai supplié le ciel de t'emporter pendant que tu trouvais encore la force de sourire et de te projeter dans un improbable appartement de Gr...enoble où des potes t'auraient aidé à guérir. Je leur ai volontiers cédé la place tant tes amies s'appelaient Fleur et Myrtille, portaient du rouge cerise, aux lèvres et dans leurs barettes à cheveux, tandis qu'elles te remontaient des coussins, tant les garçons me regardaient droit dans les yeux en me disant que tout allait continuer parce -que la vie ne pouvait pas s'arrêter là, tandis qu'ils te nourrissaient à la becquée.
J'ai fait ce voyage non pas pour oublier mais bien pour raviver la vie une fois de plus.
Nous avons frôlé l' Himalaya, tourné en rond dans des villages où ne restaient qu'amoncellements de briques et quelques vieux assis au soleil timide du printemps, tandis qu'une école surgie
d'on ne savait où bruissait de bourdonnements d'enfants.
Nous avons vacillé à la longue secousse d'un tremblement de terre de force 5,5 sur l' echelle de Richter, à 10 kms de profondeur, dont l'épicentre se trouvait à 35 kms seulement de Baktapur
où nous étions, et aux répliques suivantes s' affaiblissant dans la nuit jusqu'à épouser le rythme d' un lent bercement. Alors nous avons fini par rentrer dans la maison pour nous coucher en
son sein comme des foetus à tout jamais confiants.
Même les scientifiques ne peuvent prédire quand ça arrivera, ils donnent juste la mesure du séisme lorqu'il est passé.
Comme quoi nul n'est visionnaire hors du coeur.
Ce jour là, dans les rues mon regard a croisé celui d'une jeune mère prise dans l'intimité d'un geste d'amour.
J'ai volé cette image car je me suis senti le droit de me glisser dans cet interstice une fraction de seconde seulement.
Le temps d'un voyage encore...
Népal Février 2016 © Hélène PHUNG Carnet sans voyage
Car la beauté, il faut aller la chercher, surtout où elle n'est pas: il reste toujours une faille au milieu de toute désolation, une brèche dans le néant où quelque chose s'engouffre.
Il est des lieux où elle a si longtemps attendu que la crasse l'a recouverte. Des poignées d'or dissimulées sous des carapaces de noirceur: fumées d'encens à la poussière mélées, une chèvre
fragile bêlant sans voix au milieu des décombres d'un tremblement de terre, une femme assise sur un to...it ,le visage
résolument tendu vers l'est.
Poussant les portes, j'ai trouvé des temples d'or avec un oiseau s'envolant de chaque angle de toiture vers les 4 directions, tandis que mon coeur s'ouvrait par le milieu, et se dégustait
comme une mangue trop mûre par les dieux des vents.
Il faut être soi même d'air et de souffle pour être emporté.
Je ne suis pas assez déliée encore, trop de désir et ce "shen" accroché à la pesanteur d' être...
Le bêlement est resté coincé dans la gorge des chèvres, et le cri dans les yeux des enfants, onze mois plus tard encore, et la douleur de mon fils envolé, tout est resté muet. Je mesure
l'onde de choc de tant de silences percutés.
La femme là -haut , sur le toit d'une maison de Panauti, ne cesse de tendre le cou vers l'arrivée d'un improbable evènement, l'imminence d'un amour, que sais-je? Sa posture immobile, si
digne, ce regard tendu au-delà de tout.
Comme si rien ne pouvait advenir que du côté du ciel, aimanté par sa seule attente.
Quelque chose de moi la rejoint, se drapant sous le même foulard, se fondant dans ses yeux. La plus grande partie de ce qui me reste.
L'avion survolera les Himalayas, je rentrerai delestée.
Kathmandu Février 2016 © Hélène PHUNG 'Carnets sans voyage"
Varanasi au fil du Gange. ..Ce soir nous avons longé les côtes où brûlent les corps dont les âmes se sont envolées avec les grands oiseaux du fleuve couleur de cendre et de prières .Mes lumignons
de fleurs ont vogué dans le noir d'une eau de lune. Quelque part tout se rejoint. Nul besoin de parler, me dit le rameur de la barque, dans un si mauvais anglais que ne suis pas sûre que Dieu l'
ait entendu. Tout de même pour la peine on lui a donné 300 roupies .
"Carnet sans voyage ".Vanarasi.21 janvier 2016 H Phung
J'ai fait le voyage que tu n'as pas fait quand tu avais vingt ans et une amie que tu as laissé partir au Népal alors que ton coeur te hurlait de la suivre.
J'ai fait un autre voyage que celui que nous avions avorté en janvier 2015 parce que tu réalisais le tien, le dernier; c'est même moi qui ai supplié le ciel de t'emporter pendant que tu trouvais
...encore la force de sourire et de te projeter dans un improbable appartement de Grenoble où des potes t'auraient aidé à
guérir. Je leur ai volontiers cédé la place tant tes amies s'appelaient Fleur et Myrtille, portaient du rouge cerise, aux lèvres et dans leurs barettes à cheveux, tandis qu'elles te remontaient
des coussins, tant les garçons me regardaient droit dans les yeux en me disant que tout allait continuer parce -que la vie ne pouvait pas s'arrêter là, tandis qu'ils te nourrissaient à la
becquée.
J'ai fait ce voyage non pas pour oublier mais bien pour raviver la vie une fois de plus.
Nous avons frôlé l' Himalaya, tourné en rond dans des villages où ne restaient qu'amoncellements de briques et quelques vieux assis au soleil timide du printemps, tandis qu'une école surgie d'on
ne savait où bruissait de bourdonnements d'enfants.
Nous avons vacillé à la longue secousse d'un tremblement de terre de force 5,5 sur l' echelle de Richter, à 10 kms de profondeur, dont l'épicentre se trouvait à 35 kms seulement de Baktapur où
nous étions, et aux répliques suivantes s' affaiblissant dans la nuit jusqu'à épouser le rythme d' un lent bercement. Alors nous avons fini par rentrer dans la maison pour nous coucher en son
sein comme des foetus à tout jamais confiants.
Même les scientifiques ne peuvent prédire quand ça arrivera, ils donnent juste la mesure du séisme lorqu'il est passé.
Comme quoi nul n'est visionnaire hors du coeur.
Ce jour là, dans les rues mon regard a croisé celui d'une jeune mère prise dans l'intimité d'un geste d'amour.
J'ai volé cette image car je me suis senti le droit de me glisser dans cet interstice une fraction de seconde seulement.
Le temps d'un voyage encore...
Népal Février 2016 © Hélène PHUNG Carnet sans voyage
Car la beauté, il faut aller la chercher, surtout où elle n'est pas: il reste toujours une faille au milieu de toute désolation, une brèche dans le néant où quelque chose s'engouffre....
Il est des lieux où elle a si longtemps attendu que la crasse l'a recouverte. Des poignées en or dissimulées sous des carapaces de noirceur: fumées d'encens à la poussière mélées, une chèvre
fragile bêlant sans voix au milieu des décombres d'un tremblement de terre, une femme assise sur un toit ,le visage résolument tendu vers l'est.
Poussant les portes, j'ai trouvé des temples d'or avec un oiseau s'envolant de chaque angle de toiture vers les 4 directions, tandis que mon coeur s'ouvrait par le milieu, et se dégustait comme
une mangue trop mûre par les dieux des vents.
Il faut être soi même d'air et de souffle pour être emporté.
Je ne suis pas assez déliée encore, trop de désir et ce "shen" accroché à la pesanteur d' être...
Le bêlement est resté coincé dans la gorge des chèvres, et le cri dans les yeux des enfants, onze mois plus tard encore, et la douleur de mon fils envolé, tout est resté muet. Je mesure l'onde de
choc de tant de silences percutés.
La femme là -haut , sur le toit d'une maison de Panauti, ne cesse de tendre le cou vers l'arrivée d'un improbable evènement, l'imminence d'un amour, que sais-je? Sa posture immobile, si digne, ce
regard tendu au-delà de tout.
Comme si rien ne pouvait advenir que du côté du ciel, aimanté par sa seule attente.
Quelque chose de moi la rejoint, se drapant sous le même foulard, se fondant dans ses yeux. La plus grande partie de ce qui me reste.
L'avion survolera les Himalayas, je rentrerai delestée"
Posté le 09 février sur FB
Varanasi au fil du Gange. ..Ce soir nous avons longé les côtes où brûlent les corps dont les âmes se sont envolées avec les grands oiseaux du fleuve couleur de cendre et de
prières .Mes lumignons de fleurs ont vogué dans le noir d'une eau de lune. Quelque part tout se rejoint. Nul besoin de parler, me dit le rameur de la barque, dans un si mauvais
anglais que ne suis pas sûre que Dieu l' ait entendu. Tout de même pour la peine on lui a donné 300 roupies .
"Carnet sans voyage ".Vanarasi.21 janvier 2016 H Phung |
Nous voilà revenus de Rouen. Arrivés en fin de journée hier. Pas eu le temps encore de décharger la voiture. Pendant tout le voyage j’ai tricoté, plié des origamis, un peu lu … Je n’arrive plus à
accrocher mon regard sur les paysages en laissant défiler mes rêveries, comme autrefois. L’obsession de l’absence m’habite. ...Tout me ramène sans cesse à cela, à ce qui était, à ce qui n’est plus.
Juste avant notre départ, Cléa est passée à l’improviste, tard dans le soir, légère déviation de sa route pour Bern. Elle est venue me surprendre dans ma chambre alors que j’étais en train de
téléphoner. Tout à coup, je me suis vue par ses yeux : désœuvrée, et même un peu misérable, les cheveux en bataille grossièrement attachés dans le dos, nageant dans un pantalon trop large, pieds
nus sur le plancher, les mains crispées sur le mobile. Elle a dit « Tu as bonne mine » sans vraiment y croire, à cause du teint hâlé en surface, acquis d’un voyage tout récent en Sardaigne.
Nous avons discuté jusque tard dans la nuit, elle n’a pas voulu rester, à la fin j’ai du la mettre à la porte pour qu’elle ne rentre pas à des heures indues chez elle. On a parlé de tout et de
rien, de lui beaucoup. Nous nous sommes aperçues que nous étions exactement dans le même mal-être depuis une dizaine de jours : à côté de soi, en léger décalage avec la vie, tout le temps. En ce
moment il me faut quelques secondes pour répondre à une question simple, je n’accroche pas immédiatement à la réalité : c’est dans cet entre-deux que son image persiste, comme une ombre
rétinienne restée au fond de l’âme. Elle me dit qu’elle ressent la même chose.
On se ressemble beaucoup toutes les deux, sauf qu’à son âge je n’étais pas du tout comme ça, beaucoup plus innocente. La nouvelle génération vieillit- elle aussi rapidement ? Je m’étais posé la
même question du temps du vivant de Gaël. Comment peut-on aller aussi vite, au point que le bout de votre vie vous rattrape et vous emporte, alors que vos rêves ne sont pas achevés ?
« Moi, il faut que je parte » me dit encore Cléa. « Cet automne, début 2016 au plus tard je serai en Guyane, je veux aller à Kourou voir décoller les fusées, ça a toujours été mon rêve. Entre
temps, je serai au mariage de ma cousine en Israël…Et toi ? »
Je lui parle alors de ce voyage au Cambodge qu’on a annulé en janvier, elle sait…
Et m'avoue qu’elle aurait du être à Katmandou au moment du terrible séisme, avec son amie d’enfance, elles se sont désistées au dernier moment. En fait de voyage manqué, nous évoquons alors ce
mois d’août en Mongolie que nous n’avions pas partagé car quelque chose m’avait retenue, d’imprécis, je ne sais quoi.
Juste avant son départ dans un sentiment de léger regret je lui avais annoncé :
« Je sens que tu vas me ramener quelque chose, un objet sans valeur mais d’une grande importance ». Elle m’avait offert une plume d’aigle à son retour. Cléa me redit cela avec un sourire, qu’elle
savait que l’écriture allait me rependre, elle est un peu devin sur les bords, comme moi…
Voilà, je l’ai poussée un peu hors de mon cœur et de ma porte, afin qu’elle accomplisse tous ses voyages, d’une étoile à l’autre. Moi je suis rentrée me coucher en me disant que j’aurais aussi de
la route à faire d'ici quelques heures jusqu’à Rouen où j’irais conter le Japon avant de m’en retourner.
Aujourd’hui je songe à ce que je dois emporter sur Lyon pour un autre spectacle, demain. D’ici là bien d’autres aller- retour et d’innombrables immobilités m’attendent…
© H PHUNG Feuillet du 28 Mai 2015 Nattages
Nous voilà revenus de Rouen. Arrivés en fin de journée hier. Pas eu le temps encore de décharger la voiture. Pendant tout le voyage j’ai tricoté, plié des origamis, un peu lu … Je n’arrive plus à
accrocher mon regard sur les paysages en laissant défiler mes rêveries, comme autrefois. L’obsession de l’absence m’habite. ...Tout me ramène sans cesse à cela, à ce qui était, à ce qui n’est plus.
Juste avant notre départ, Cléa est passée à l’improviste, tard dans le soir, légère déviation de sa route pour Bern. Elle est venue me surprendre dans ma chambre alors que j’étais en train de
téléphoner. Tout à coup, je me suis vue par ses yeux : désœuvrée, et même un peu misérable, les cheveux en bataille grossièrement attachés dans le dos, nageant dans un pantalon trop large, pieds
nus sur le plancher, les mains crispées sur le mobile. Elle a dit « Tu as bonne mine » sans vraiment y croire, à cause du teint hâlé en surface, acquis d’un voyage tout récent en Sardaigne.
Nous avons discuté jusque tard dans la nuit, elle n’a pas voulu rester, à la fin j’ai du la mettre à la porte pour qu’elle ne rentre pas à des heures indues chez elle. On a parlé de tout et de
rien, de lui beaucoup. Nous nous sommes aperçues que nous étions exactement dans le même mal-être depuis une dizaine de jours : à côté de soi, en léger décalage avec la vie, tout le temps. En ce
moment il me faut quelques secondes pour répondre à une question simple, je n’accroche pas immédiatement à la réalité : c’est dans cet entre-deux que son image persiste, comme une ombre
rétinienne restée au fond de l’âme. Elle me dit qu’elle ressent la même chose.
On se ressemble beaucoup toutes les deux, sauf qu’à son âge je n’étais pas du tout comme ça, beaucoup plus innocente. La nouvelle génération vieillit- elle aussi rapidement ? Je m’étais posé la
même question du temps du vivant de Gaël. Comment peut-on aller aussi vite, au point que le bout de votre vie vous rattrape et vous emporte, alors que vos rêves ne sont pas achevés ?
« Moi, il faut que je parte » me dit encore Cléa. « Cet automne, début 2016 au plus tard je serai en Guyane, je veux aller à Kourou voir décoller les fusées, ça a toujours été mon rêve. Entre
temps, je serai au mariage de ma cousine en Israël…Et toi ? »
Je lui parle alors de ce voyage au Cambodge qu’on a annulé en janvier, elle sait…
Et m'avoue qu’elle aurait du être à Katmandou au moment du terrible séisme, avec son amie d’enfance, elles se sont désistées au dernier moment. En fait de voyage manqué, nous évoquons alors ce
mois d’août en Mongolie que nous n’avions pas partagé car quelque chose m’avait retenue, d’imprécis, je ne sais quoi.
Juste avant son départ dans un sentiment de léger regret je lui avais annoncé :
« Je sens que tu vas me ramener quelque chose, un objet sans valeur mais d’une grande importance ». Elle m’avait offert une plume d’aigle à son retour. Cléa me redit cela avec un sourire, qu’elle
savait que l’écriture allait me rependre, elle est un peu devin sur les bords, comme moi…
Voilà, je l’ai poussée un peu hors de mon cœur et de ma porte, afin qu’elle accomplisse tous ses voyages, d’une étoile à l’autre. Moi je suis rentrée me coucher en me disant que j’aurais aussi de
la route à faire d'ici quelques heures jusqu’à Rouen où j’irais conter le Japon avant de m’en retourner.
Aujourd’hui je songe à ce que je dois emporter sur Lyon pour un autre spectacle, demain. D’ici là bien d’autres aller- retour et d’innombrables immobilités m’attendent…
© H PHUNG Feuillet du 28 Mai 2015 Nattages
Là -bas, au bout de la France dont je reviens à peine, et plus loin encore, un artiste de land art a posé des pierres sous un arbre en pensant à moi, qui voyageais aux côtés d’une jeune peintre
péruvienne. Tandis qu’il œuvrait en silence, elle a parlé. Tout le temps du voyage mes oreilles ont été b...ercées de la
lancinante mélopée de la vie qui se raconte et puis se tait, c’est cela vraiment que j’aurais aimé dessiner si j’avais eu encore un peu d’âme au bout des doigts, et puis bien sûr il y avait ce
livre qui m’attendait dans la boîte à lettres, les mots de Paul l’ami poète que j’avais oublié d’avoir oublié. Comme il faut chercher loin ce que nous sommes encore…
« Carnet sans voyage » © Hélène PHUNG 28 Octobre 2014
CARNET SANS VOYAGE " FEUILLET du 20 AOÛT 2014
Jour de voyage à l’envers, dans la solitude des pierres : mon jardin s’épuise, je n’ai même plus envie de le regarder, seules les ombres m’intéressent car elles ressemblent à ce qui ne s’écoule
pas. Pourtant il suffit du passage d’un seul nuage pour qu’aussitôt le monde bascule, un grand vent d’oiseaux s’élève à l’horizon. Mais il faut bien reconnaî...tre que ceci n’est qu’une image littéraire celle avec laquelle j’ai débuté mon matin en en faisant un haïku.
Me lavant les rêves comme d’autres prennent leur douche, j’exerce mon cœur et mes yeux : dans le geste de voir s’étale de l’encre en même temps que des larmes. Je viens tout juste d’apprendre que
leur composition chimique est différente selon les émotions, celles ci sous le microscope seraient semblables à une page blanche avec quelques soupçons de latitude terrestre : ce ne sont que des
coulées d’absence et de non moi.
Pourtant dans ce réseau intime quelque chose comme de la joie circule, que je n’analyserai surtout pas, que je laisserai s’épanouir à la frange subtile de mon être, juste à la frontière de ce
rien que j’enterrerai ce soir comme je le fais de chaque journée échue, inopinément s' y ouvre une brèche dans laquelle j’entre en silence.
Nattages 20 aout 2014
© Hélène PHUNG « CARNET SANS VOYAGE »
Le voyage se poursuit dans les nervures de la feuille, et le rêve mêlé de l’insecte; je suis cette longue partance au bout du chemin.
Là com...mence le jardin de mon enfance, dans le songe de la mandibule, et la couleur bruyante des élytres, le dessin des
pattes de tipules, légères acrobates dansant à la surface de l’eau.
Aujourd’hui je me penche sur la verdeur du bassin pour en épuiser tous les souffles et les tristesses alanguies car il est évident que bien des îles entrouvertes furent oubliées dans le sillage
de mes chagrins d’enfants, grands comme des montagnes au point que je me demande si celles qui se dressent ici même en face de moi ne sont pas que les ombres de ce temps là, encombrées de neiges
inutiles et de nuages aussi longs que des désespoirs cachés.
Tant de fois j’ai enfilé mes chaussures de montagne, tant de fois j’ai escaladé de vrais vertiges et bêché de lourdes plaques de terre argileuses, remuant la terre des potagers successifs de ma
vie.
Jamais je n’ai retrouvé le frimas qui souleva mon manteau de laine rouge, ni la piqûre vive de la châtaigne qui brûla mon doigt.
Nulle part je n'ai su déterrer le frôlement de la feuille orangée qui se détacha de l’arbre dans la coïncidence exacte de mon cœur s’ouvrant à la conscience aiguë du temps qui passe , ni les
douces semences de mort incluses dans le souffle du vent léger qui traversa alors mon cœur.
© Hélène PHUNG Carnet sans voyage Jardin de Nattages 17 Août 2014
Je ne sais d’où j’écris, peut- être depuis ce lieu vierge, à peine entamé d’une après- midi en mon oreille entrée, avec un léger vent faisant tinter à la fois les clochettes accrochées à la porte
d’entrée, ramenées d’...un village vietnamien près de la frontière chinoise en 2012 , et le mobile d’agates bleues du Brésil
que j’avais acquis autrefois à Pèzenas dans un magasin de pierres dont le nom « Poussière d’Etoiles » m’avait aimantée, comme s’il s’était agi de mon propre cosmos, suspendu dans le couloir,
tintant d’un son minéral à chaque poussée venteuse, tandis que Kuljeet désormais installée en Inde du Nord et le poète Robert Notemboom discutent avec moi en messagerie privée, comme par hasard
tous deux de la mort et de la vie, mais ce n’est somme toute pas si étonnant puisque l’une réagit au texte que je viens de poster, où il est fortement question de cela, tandis que l’autre reprend
la conversation de la veille au cours de laquelle nous évoquions sa fin attendue, et du coup toutes les morts passées et à venir.
Je regarde au dehors où je ne vois que l’ombre et le feu d’une après midi qui circule, se faufile entre la verdeur d’une mare et le rouge de l’érable. Dans des instants pareils je voudrais être
peintre pour attraper la lumière ou bien Dieu car je suis certaine que tout irradie de son large sourire que je voudrais tant expérimenter .
Et puis il y a ce poète iranien qui écrit sur sa page qu’il voudrait qu’on l’enterre près d’une jeune fille aux yeux bleus « sky blue eyes" ce qui paraît si léger quasi angélique dit comme ça, en
anglais, que l’on voudrait s’éteindre de suite pour rejoindre cette ineffable apesanteur. La circonstance hasardeuse de ce bout de poésie, s’ajoute encore au reste, si bien que je voudrais m’y
fondre, dans un irrésistible attrait des couleurs, moi que le bleu obnubile…
Hier au soir j’ai voulu capter l’arc- en- ciel mais mon appareil photo, depuis le retour d’ Italie est resté déchargé alors je me suis enfoncée dans la lourde tache de regarder sans fin, jusqu’à
la douleur des yeux car il est difficile de fixer les choses, du regard, de la main, de les graver au fond de la mémoire, je ne sais pourquoi je me suis infligée la pesante responsabilité
d’accueillir cela qui ne devrait selon moi en aucun cas se perdre avec le reste de cette après midi sans fin.
Je ne sais d’où j’écris peut être du fin fond de cette absence qui s’élance et se noie, pupille orpheline, ou encore dans ce vague de l’âme dont on n’aurait pas éclairci l’encombrant désir.
Dieu merci , voici que Philippe de Paris que je ne connais qu' à travers une inépuisable fraternité de rêve (je me souviens de nuits d’insomnie s’étirant longuement entre France et Québec où nous
nous parlions à trois, avec Laurent, par dessus l’océan et les toits, histoire de ne pas nous enfoncer dans la densité nocturne sans en partager le grain ni la version ensoleillée due aux 6
heures de décalage... ) m'interpelle soudain.
Il a juste parlé de papillon et j’ai pris ce mot comme une bouée de sauvetage, je l’ai épinglé dans ma mémoire, nous sommes repartis là dessus, via Internet, nous nous sommes dit des choses,
c’est cela qui s’est passé très exactement et qui m’ a recalée dans le monde où il est définitivement 16H 32 le 16 août 2014 tandis que j’écris.
© Hélène PHUNG "CARNET SANS VOYAGE" Nattages 16 août 2014-
Je me demande si je ne vais pas mourir bientôt, si inconsciemment je ne le sais pas, sinon comment expliquer que ma vie fasse un telle boucle depuis plus de dix ans déjà, me ramenant sur les
chemins lointains du Viet...nam, jusque sur la tombe de mon grand père enterré dans un champ entre rizière abandonnée et
forêt au bout de tout, et que je suis allée voir comme pour un rendez- vous le jour même de l’anniversaire de sa mort, sans savoir quand il avait lâché la vie (et j’ai su alors, lisant la pierre
gravée, que ce fut juste avant que je ne la rattrape, que lorsque je suis née il était déjà décédé, qu’au moment où je quittais ma terre natale il avait déjà escaladé le ciel de sa mort) ?
Inlassable boucle me ramenant sans cesse vers des gens que j’ai connus, aimés et perdus de vue, avec la sensation de finir enfin de les aimer, car tout doit s’achever même cela que l’on croyait
éternel.
L'amour comme toute chose a une fin, que l’on se doit d’embellir car rien ne subsiste toujours que la beauté celle que l’on croyait prendre quand de toute évidence elle nous fut donnée avec la
vie elle- même, et l’on était dans cette culpabilité d’avoir dévoré ce qui nous appartenait, de goûter à nos propres chairs, mais qui nous en aurait empêché sinon nous- mêmes ?
Il n’y a rien à voler puisque rien ne nous appartient, notre existence s’écoule presque en marge de nous- même, pour nous ramener en fin de compte à la grande rivière souterraine d’avant toute
histoire.
Sinon, pourquoi cette frénésie soudaine de paroles et d'écriture quand rien ne m’apaise tant que le silence, dont je sais qu’il fut là, à notre propre source, et que nous y retournerons au bout
de tout, et que cela au moins sera partagé ?
© Hélène PHUNG « Carnet sans voyage » Nattages le 09 Août 2014 dans une rêverie d’un lointain Vietnam
En ce moment, je trie les photos de voyage, enfin celles que j’ai . Autrefois je ne photographiais pas et je n’aimais pas que l’on capte mon image, parce que rien ne s’écoulait, parce que la
beauté n’a nul besoin d’être rassurée, encore moins qu’on l’épin...gle au vol.
Autrefois, le sable courait entre mes doigts et la mer entre mes jambes et cela n’avait aucune importance.
Le monde lui- même était insignifiant, tout provenait par hasard, tout était gratuit et fortuit.
D’ incident en incident j’ai fini par l’aimer, par t’aimer, et quelque chose a fini par passer que bien plus tard j’ai su nommer, et ce n’était rien d’autre que le temps.
Puis nous avons voyagé autour d’un monde rétréci, nous avons tellement cru aller loin, en fait nous revenions sans cesse vers cela cette chose que nous n’avions pas vu venir, ni partir, juste
mourir entre nos doigts bêtement : l’éternité se meurt à chaque fois, sans cesse, indéfiniment, elle n’a que cela d’éternel ce moment d’effacement et d’oubli en marge de tout, au cœur de
rien.
Voilà pourquoi désormais il me faut photographier à mon tour, tenter de capter quelque chose, toujours en désespoir de cause car je sais bien, au fond, que je ne photographie rien d’autre que
cela ce futile désespoir qui parfois a la grâce d’un ange de pierre dans une église de Lecce, le regard d’un enfant croisé au bord du fleuve Sénégal ou les nervures silencieuses d’un arbre
s’accrochant à la terre, quelque part, n’importe où, là où le silence n’a pas prise, encore.
© Hélène PHUNG " Carnet sans voyage "Nattages le 9 août 2014 13H 09
On me dit que j'ai une belle plume, ce qui me flatte, alors que voulez- vous je me les arrache une à une pour mieux écrire encore, car que l'on soit humain ou oiseau on a besoin par -dessus tout
de sentir les ...ailes de l'amour des autres nous porter.
On voudrait être un ciel sur la terre, remplir l'autre du manque de soi et du vertige infini du désir, à chacune des rencontres terrestres, aussi brèves soient-elles, mais tout occupé que l’on
est à tracer ici-bas les signes du monde, on en oublie de voler, alors on perd grâce à ses yeux, aux nôtres, on noie peu à peu l’innocence première, celle qui nous faisait d’instinct trouver la
courbe du vol, l’essor essentiel d’une vie ailée.
Quand on se décide enfin à s’élancer, plus rien ne reste du savoir caché, de la ressource mystérieuse en soi enfouie, qui faisait jaillir si loin notre cœur , alors on reste piteusement cloué au
sol, et l’on découvre ce que l’on a soigneusement gravé dans la pierre, qui est cause de notre irréparable malheur, cela nous console à peine, de contempler l’image merveilleuse de l’oiseau qui
s’envole...
© Hélène PHUNG Aujourd'hui 9 Août 2014 écrit d'une traite à l'instant même...
CARNET SANS VOYAGE" SAN CATALDO Nuit du 31 juillet au 1° AOUT
(écrit au jour le jour, jeté aux vents de passage...)
On avance, ou plutôt ça avance, je ne sais quoi se déroule.
Je perds les notions de lieu, les noms des villes traversées se mélangent, elles finissent par toutes se ressembler, tant d’églises et tant de places, de lacis de ruelles s’ouvrant brusquement
sur un port inondé de lu...mière ; de délicates
« piazze » toutes nimbées de douceur latine où je me disais que j'aurais bien aimé y finir mes jours, tout en les quittant sans état d’âme.
Je ne garderai pour mémoire que la lumière blanche des cités allant à la rencontre du bleu minéral d’une eau à perte de regard.
Le temps lui aussi prend des reflets d’agate ou d’améthyste, qui s’écoule à bout d’horizon. Nous finissons toujours par buter sur du bleu. A la fin celui du ciel ou de la mer finissent aussi par
se confondre.
Nous- mêmes allons vers de l’indifférencié : le moi d’hier, ou d’avant- hier se noie en douceur dans celui d'aujourd’hui ou de demain, et voilà que nous nous fondons l’un l’autre en un seul être
en partance, pour parvenir, au bout de tout, par nous désincarner, plus rien ne reste des corps, que la nage, le mouvement qui fend l’eau ou l’air, le sable. Nous sommes,mon compagnon et moi du
voyage à l’état pur.
Mais la nuit le poids du monde se réinstalle, et dans le noir la mémoire effectue son lent travail de fourmi, quelque chose se tricote autour de soi et en dedans, je me surprends des
épaisseurs.
Je me délimite. Au stylo et à la lampe de poche lorsque manque l’électricité, au clavier et à la lueur de l’écran pour ne pas réveiller l’autre.
Car il y a l’autre dans sa présence immédiate. Et tous les autres qui sont le monde, dans la grande rumeur d’une histoire en cours…
Et puis il y a moi : ce qui se reconstitue dans mon propre ventre, à la limite d’une sensation d’entrailles et de creux.
Autour de la faim et du désir, au risque de perdre ma légèreté, j’établis mon horizon : je pèse, je date, j’écris…
© Hélène PHUNG " Carnet sans voyage"
Du côté de San Cataldo. Nuit du 31 juillet au 1° aout 2014- Afficher la
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CARNET SANS VOYAGE" SAN CATALDO Nuit du 31 juillet au 1° AOUT
(écrit au jour le jour, jeté aux vents de passage...)
On avance, ou plutôt ça avance, je ne sais quoi se déroule.
Je perds les notions de lieu, les noms des villes traversées se mélangent, elles finissent par toutes se ressembler, tant d’églises et tant de places, de lacis de ruelles s’ouvrant brusquement
sur un port inondé de lu...mière ; de délicates
« piazze » toutes nimbées de douceur latine où je me disais que j'aurais bien aimé y finir mes jours, tout en les quittant sans état d’âme.
Je ne garderai pour mémoire que la lumière blanche des cités allant à la rencontre du bleu minéral d’une eau à perte de regard.
Le temps lui aussi prend des reflets d’agate ou d’améthyste, qui s’écoule à bout d’horizon. Nous finissons toujours par buter sur du bleu. A la fin celui du ciel ou de la mer finissent aussi par
se confondre.
Nous- mêmes allons vers de l’indifférencié : le moi d’hier, ou d’avant- hier se noie en douceur dans celui d'aujourd’hui ou de demain, et voilà que nous nous fondons l’un l’autre en un seul être
en partance, pour parvenir, au bout de tout, par nous désincarner, plus rien ne reste des corps, que la nage, le mouvement qui fend l’eau ou l’air, le sable. Nous sommes,mon compagnon et moi du
voyage à l’état pur.
Mais la nuit le poids du monde se réinstalle, et dans le noir la mémoire effectue son lent travail de fourmi, quelque chose se tricote autour de soi et en dedans, je me surprends des
épaisseurs.
Je me délimite. Au stylo et à la lampe de poche lorsque manque l’électricité, au clavier et à la lueur de l’écran pour ne pas réveiller l’autre.
Car il y a l’autre dans sa présence immédiate. Et tous les autres qui sont le monde, dans la grande rumeur d’une histoire en cours…
Et puis il y a moi : ce qui se reconstitue dans mon propre ventre, à la limite d’une sensation d’entrailles et de creux.
Autour de la faim et du désir, au risque de perdre ma légèreté, j’établis mon horizon : je pèse, je date, j’écris…
© Hélène PHUNG " Carnet sans voyage"
Du côté de San Cataldo. Nuit du 31 juillet au 1° aout 2014-
Ce soir, traversant la pointe sud de la Poglia, nous passerons de l’Adriatique vers la mer Ionienne, nous irons plonger ailleurs nos vieux corps naufragés.
Je songe à toutes ces eaux où j’ai mouillé, depuis celles que je traversais toute petite, de Saï...gon jusqu’à Marseille, et
dire que j’ai failli être jetée par dessus bord, ma mère pleurait disant qu’elle suivrait son enfant s’il venait à mourir, mais au cours d’une escale un vieux médecin indien m’ aurait sauvé la
vie en me faisant soigner à l’eau de mer, je ne sais si toute l’histoire est vraie, mais c’est ainsi qu’elle est colportée dans la famille, comme ont été bringuebalés d’autres souvenirs venant de
la vieille Indochine : des coussins de soie brodés de dragons, des théières de porcelaine aux paysages exotiques, un éventail noir cousu de phénix d’or, tous ces objets extravagants arrivés avec
nous par bateau, échoués en terre de France où il fallut poursuivre nos mythologies ambulantes.
Mer de Chine, mer d’ Arabie, Méditerrannée et Mer du Nord, , Mer des Caraïbes, l’Atlantique des côtes bretonnes et du Sénégal, Océan indien…
La même eau parcourt le monde, et lave la terre. Yeux fermés, j’essaie de me concentrer sur les cellules de mon corps, me demandant quel lien de parenté perdure encore entre la matière liquide
qui circule depuis la nuit des temps à l’intérieur des hommes, en une messe secrète, le temps d’une vie, et cette autre, plus bruyante au-dehors, capable de tempête et de tsunamis, encerclant la
terre, berçée aux sombres remous de ses origines
De mémoire aqueuse, à 6 heures ce matin, je me projette sans fin dans les méandres de mes remontées de rivières. Depuis que nous sommes partis il me semble que le monde flotte et que notre
camping- car soit une arche de Noé, mais où sont les animaux, me demandai-je. Même si je m’entête à croire que j’ abrite quelques animaux totémiques, cela fait bien peu face aux déserts que nous
totalisons Christian et moi. Si le monde venait à mourir, quelles montagnes, quels lacs et quelles sources serions- nous capables en nous de transporter ? A force de mots et de mémoire
peut-être…
Mais voici que la vie s’éveille, dehors une femme hurle dans une langue que je ne connais pas, il fait un temps plutôt nuageux, le chant des cigales redouble d’intensité, les voitures au loin
affluent, redonnant sens à la route, au monde.
Prendre la carte, chercher sa position,différencier le nord du sud, écouter la météo à la radio dans une langue étrangère, claquer les portières et redémarrrer.
L’ordre des choses finit toujours par revenir, et la houle du monde vous emporte.
San Cataldo , Poglia 29 Juillet 2014
Pas moyen de dormir. Nous avons fini par atterrir dans une aire minable je ne sais où, loin de la trajectoire prévue. Je tiens la carte pendant que Christian conduit, mais je m’y perds, nous
avons raté une sortie d’autoroute puis nous nous sommes embrouil...lés dans des déviations à n’en plus finir qui nous
éloignaient des côtes pour nous plonger dans des terres noires. Depuis quelques jours le GPS cherche en vain à nous localiser depuis des satellites introuvables, dans un jeu de pistes des
stratosphères dont les règles technologiques nous échappent, à la fin je l’ai débranché, et voilà comment nous sommes arrivés en ce lieu de nulle part , juste un point de chute comme on dit, il y
fait terriblement lourd, la nuit a fini par tomber, et nous attendons que la pluie en fasse autant.
Fenêtres et portes ouvertes sur une obscurité sans fin, tandis qu’au loin le rythme obsédant d’une musique de boîte de nuit résonne en nos têtes qui étaient restées si longtemps sous l’eau qu’on
aurait pu croire que les branchies que nous arborons désormais y seraient restées insensibles, mais rien à faire l’instinct grégaire repend le dessus ainsi qu’un reste de culture humaine, si on
peut appeler ça ainsi, toujours est –il que parmi les airs secouant cette torpeur je reconnais un morceau du dernier album de Zaz, enfin quelque chose qui y ressemble, comme quoi les italiens
n’écoutent pas que de la musique disco, même en boîte, mais peut- être est-ce un mariage, j’imagine la fête nocturne, avec une mariée plus blanche que l’écume, et le chianti qui coule à
flots.
Et cette pluie qui ne vient pas, Christian se lève, ouvre le frigo, avale une bière, ça fait un bruit de marée qui monte, je ferme les yeux, mal au dos, c’est terrible depuis quelques jours ,
sans parler du bras qui a gonflé à cause d’une piqûre d’insecte sur la plage, pas de pharmacie sur notre route pour l’instant parce que nous fuyons les villes.
Mais demain, si on survit à cette longue insomnie , on ira se noyer dans une cité latine, à Vesce par exemple ou à Barletta, on y entrera en pleine après midi, à l’heure où derrière les fenêtres
aux longs rideaux dansant dans le vent, résonneront des bruits de couverts et de plats aux senteurs de basilic et de menthe poivrée qui mijotent, des courses d’enfants dans les couloirs et des
postes de télé qui s’ouvriront sur des émissions de variété remplies de chansons, car ce sera dimanche, juste pendant une courte ondée, les balcons frémiront sous le passage de la pluie, et le
linge oublié aux fenêtres dansera au doux rythme d’un rinçage céleste, les magasins seront fermés, surtout les « gelaterie » qui n’auront pas désempli la veille, nous aurons tout l’espace des
rues pavées ruisselantes de lumière mouillée, et des caniveaux aussi bruissants que des rivières pour ressourcer nos pas.
On dit que l’eau de mer cicatrise toutes les blessures, grâce au sel qui enferme le mal dans sa morsure, de ce côté là, nous somme cuits et recuits, salés, séchés , ensablés et embrumés pour le
restant de nos jours, peau hâlée et tendons brûlés, corps épuisés à la nage, jusqu’à la lie des anges, alors quand une pluie fine tombée en droite ligne du ciel se déversera comme une liqueur
vierge sur nos corps de voyageurs déboussolés, nous resterons sur place, enfin comblés et planterons nos racines, à l’image des oliviers centenaires qui ne cessent de border nos routes, prévues
et imprévues,comme pour nous signifier quelque indice que nous ne saisissons pas tout à fait encore mais que nous finirons par comprendre. A force d’aller et venir, je crois que les sens
s’aiguisent aux imperceptibles messages semés sur le chemin, nous nous installerons dans le sol de cette place ronde, dont j’ai oublié le nom, et c’est normal puisque je ne puis me souvenir déjà
de demain, "domani" peut- être, à la condition qu’enfin s’épuise aujourd’hui.
Les 27/28 juillet 2014 Entre Zapponeta et Bari… Les Pouilles Italie. " CARNET SANS VOYAGE"
Ce soir mon cœur pèse 250 pages exactement. Je les ai écrites en deux mois et demi à peine, puisque j'ai commencé le 20 mars 2014 pour finir le 13 juin de la même année, ce
qui peut paraître court, mais il faut dire que j'avais 30 ans de silence à rattraper, un nom retrouvé par hasard sur internet à habiller d'une présence longtemps oubliée, un
amour à redécouvrir, et surtout cette longue abs...ence à moi-même: une amnésie à combler.
Comme il est difficile de renégocier le passé, de peupler les béances de sa mémoire d'odeurs, d'images et de paroles,une à une reconquises sur le terreau muet du cœur, de réécrire un scénario déserté. Mais cela, je l'ai fait, nuit après nuit, mot après mot, tout en gardant le contact avec la vie, avec mon compagnon et mes enfants, avec tous mes amis visibles et invisibles, avec lui, qui me suivait de loin, du bout de ce monde que j'aurais beau parcourir en long et en large, postant des cartes et des photographies, jamais rien ne se rattrape du temps perdu, des mots non prononcés et des actes non accomplis, le destin se joue toujours trop tard, une fois clos son mystère. Alors on reste pauvre, même si l'on a, à force de persévérance rebâti une vérité: pauvre de soi, délesté du sens profond qu'on aurait tant voulu imprimer à sa vie, et l'on sait que le voleur de ce bien inestimable n'est autre que soi même. Et moi, je suis plus pauvre que cela encore, puisque je crains d'avoir perdu une deuxième fois celui que je viens juste de retrouver, puisqu'il me faut apprendre le désamour au moment où je viens de toucher du bout des doigts le temps des désirs naissants, puisque ces pages que j'ai enfin écrites, ne feront probablement jamais le livre de ma vie, pour la simple raison que je crains de finir ce qui reste à finir. Il se peut que ce lieu de suspens reste à jamais mien. Je pourrais planer, tel un oiseau dans cet entre-deux... A mi chemin entre hier et aujourd'hui. Ce qui fut écrit, et ce qui ne sera jamais lu. Mais non, il me faudra bien clore cela, exister vraiment. Ajouter de la vie à la vie, fabriquer des souvenirs, pour plus tard, quand il sera temps encore, de se rappeler... © Hélène PHUNG 17 juillet 2014 - A propos de ce livre que je publierai peut-être- |