Ici voltigent les FEUILLETS de mon "Carnet sans voyage" et de quelques autres vagabondes écritures...
Cette nuit, les oiseaux ont chanté à tue-tête, ils avaient des étoiles plein le gosier. La lune dans sa phase nouvelle était peu visible , et les lumières astrales venues d'outre temps, traversant l'espace, ont percuté ma rétine provoquant un sentiment de joie inexpliqué. Pourquoi réagissons- nous de la sorte à de si lointains appels de mondes dont certains sont morts déjà, aux clins d'œil fantômes de galaxies lointaines?
Si nous recevions les messages avec notre esprit, un c...iel étoilé incommensurable, échappant définitivement à notre
entendement humain cloisonné dans les limites du temps et de l'espace, devrait nous faire hurler de terreur ou du moins provoquer au plus profond de notre être, un sentiment d'irréparable
mélancolie.
Au lieu de quoi, un souffle de grandeur nous traverse de part en part, comme si nous comprenions le sens du mystère. Il nous semble que l'explosion silencieuse de ces mondes à des années
lumière de nos fragiles vies font partie des signes que nous pouvons lire, décoder et reproduire.
A l'instar des oiseaux printaniers si vifs dans les buissons nocturnes, nous voudrions les chanter.
C'est que nous captons ces lueurs boréales de l'enfance du monde avec notre cœur.
Et si nous sommes poussière d'étoile, à n'en pas douter, le creux minuscule qui reste, infime espace de vide au centre de notre corps, celui que nous pouvons agrandir à la dimension d'un
gosier d'oiseau lorsque nous prend l'envie de fredonner, nous pouvons aussi lui donner la dimension de l'univers, qui nous contient un soir de début mai, rêveur, sous un premier quart de
lune.
© Hélène PHUNG 4 Mai 2016
iel étoilé incommensurable, échappant définitivement à notre entendement humain cloisonné dans les limites du temps et de l'espace, devrait nous faire
hurler de terreur ou du moins provoquer au plus profond de notre être, un sentiment d'irréparable mélancolie.
Au lieu de quoi, un souffle de grandeur nous traverse de part en part, comme si nous comprenions le sens du mystère. Il nous semble que l'explosion silencieuse de ces mondes à des années lumière
de nos fragiles vies font partie des signes que nous pouvons lire, décoder et reproduire.
A l'instar des oiseaux printaniers si vifs dans les buissons nocturnes, nous voudrions les chanter.
Un jour beau comme la vie s’élève de la montagne.
Parfois une phrase vous traverse le corps. Je sors dehors pour me planter un moment face à cette chaîne neigeuse que j’ai tous les jours sous les yeux, tellement présente qu’elle en devient absente, que j’oublie de la regarder. Certainement elle aussi oublie mon existence, envoie ses ondées de lumière sans en destiner une seule à "celle-qui-ne-regarde-plus", et je comprends soudain d’autres cécités de ma vie, d’autres trous noirs au lieu exact de mon cœur.
Je pose la main en ce lieu qui m’est devenu si étranger, que je dois en chercher la palpitation. J’en ai perdu les touchers infimes et les odeurs, les ondes pareilles à de minuscules rivières souterraines, rien ne reste que le grondement sourd, violent, de la vie qui bat, le choc du sang qui afflue et repart vers une destination fermée, inconnue de moi- même car j’ai oublié jusqu’à la chanson du cycle, la ferveur de tourner au rythme des saisons.
Alors je me fais pierre minérale, caillou abrupt au firmament des conjonctions terrestres. A ma mémoire fermement, je m'enroche, me concentrant sur la croisée des mondes où le sang s’accrocha deux secondes à la paroi utérine d'une mère, en cet autrefois mythique où je fus crucifiée au centre de l’existence. Cet instant égaré à partir duquel je n’eus d’autre choix que de voyager inlassablement jusqu’à celui ci, immobile, qui reste la seule vérité au monde ou plutôt le seul monde de vérité dans le chaos des turbulences intimes et cosmiques : moi en attente de lumière, face à la montagne, traversée par un éclat de verbe, aujourd’hui, 11h 25 AM : un jour beau comme la vie s’élève de la montagne.
© « Carnet sans voyage » Hélène PHUNG 22 septembre 2014
Chaque matin lorsque je me lève, je choisis soigneusement la nudité du jour, celle qui se marie à la lumière ambiante, sans que s’ affaiblisse le rayonnement solaire des regards qui m’entretiennent, me tissent fébrilement à la vie, brodant des réseaux de fourmillements étincelants à chaque silencieuse flambée d’iris.
La nudité nue dont j’absorbe à chaque aube la colonne vertébrale de ma vie debout.
Il faut un temps de méditation profonde pendant lequel le sommeil réparateur des os, dans des voyages de mémoire jusqu’au substrat de la vie interne, guérit de chaque centimètre de poussée vers l’extérieur, ô grange cosmique de mes enfances, cellules en graines de laitance…
Enfin, me sentant prête je sors de ma nuit, de la lente, l’ ineffable nébuleuse des draps, comme une amante enchevêtrée de songes et de poussière, et ce lever constitue ma seul grâce quotidienne, le reste s’étire comme un long prolongement de l’unique geste terrestre que m’ait jamais enseigné le ciel.
© " Carnet sans voyage" Hélène PHUNG 29 septembre 2014
Le temps du voyage n’est pas celui de la sédentarité, d’ailleurs ce n’est pas un temps, juste un lieu, et curieusement ce lieu est unique, il nous ramène à notre centre qui se trouve être la somme de tous les espaces et de tous les lieux parcourus, le coeur du monde en soi retrouvé.
Ce qui se maintient, ce noyau dur, centre d’une gravitation intime, qui perdure, gardant le cap, d’un bout à l’autre du monde (qui n’est somme toute qu’une courbe à traverser), c’est soi- même, c’est à dire le noeud d’une histoire personnelle, la contracture de souvenirs focalisés en un point précis de ce mouvement qui nous porte, et nous dessine en même temps, la vie en soi déployée, passé, présent et devenir en marche, en route vers nulle part puisque de toute façon la terre est ronde, et que la courbe du temps nous ramène invariablement à la poussière dont nous venons, celle qui se colle à la semelle des chaussures de l’infatigable marcheur de l’existence, l’ être voyagé ...
Et l’on tente de lire les espaces, de déchiffrer l’écriture des sables, de graver ses propres signes dans des carnets de route, qui traineront de sac en sac, s’oublieront au fond des tiroirs et des valises, que l’on ouvrira parfois à des milliers de kilomètres du lieu où ils furent inscrits, mais ils n’auront rien retenu du vent des âges qui nous parcourt, et nous pousse un peu plus en amont du vide dont nous sommes constitués. Poussière de chemin, poussière de soi…
Le plus loin qu’on puisse aller c’est nulle part, puisque la rotondité du globe nous ramène sans cesse au point de départ, le plus loin qu’on puisse aller, c’est rester.
Creuser ici- même toujours, s’enfoncer dans le présent, y creuser un nid, un terrier et s’y blottir, s’y oublier.
Secret d’un bonheur absolu, d’ un aujourd’hui éternellement anti-daté :arrivé au bord du rivage, prendre le temps de poser son regard sur la fleur jaune qui a l’audace de pousser le bleu du ciel un peu plus haut que la ligne d’horizon, avancer pieds nus dans le sable, en mêlant ses pas aux traces de pattes d’oiseaux, tandis qu’un vent léger efface au fur et à mesure les empreintes pour mieux les rendre au silence, aller vers cela longtemps, toujours, inépuisablement, en oubliant que quelqu’un vous aime, à l’autre bout de la terre, d’un amour aussi neuf que le jour qui demain se lèvera, vous allegeant encore un peu plus du poids de la vie, juste marcher, dans la sensation du grain du sable sous la plante des pieds, de l’air marin dans les cheveux emmélés, de l’odeur des chardons et des herbes sèches tout à l’entour de ce rien, de cet aller sans retour, de cette absence même d’aller puisque voilà, vous y êtes depuis toujours, ce qui est devant vous c’est la mer, sans nom, oubliée de toute carte, absente de toute représentation terrestre. Celle de nulle part, d’ici et de partout.
Juste de l’eau. Vers laquelle vous êtes allé, de laquelle vous reviendrez, toujours.
C’est à dire à peine plus que jamais.
Petaccino Mer Adriatique 23 juillet 2014 © Hélène PHUNG « Carnet sans voyage »
Je ne sais d’où j’écris, peut- être depuis ce lieu
vierge, à peine entamé d’une après- midi en mon oreille entrée, avec un léger vent faisant tinter à la fois les clochettes accrochées à la porte d’entrée, ramenées d’un village vietnamien près de
la frontière chinoise en 2012 , et le mobile d’agates bleues du Brésil que j’avais acquis autrefois à Pèzenas dans un magasin de pierres dont le nom « Poussière d’Etoiles » m’avait aimantée,
comme s’il s’était agi de mon propre cosmos, suspendu dans le couloir, tintant d’un son minéral à chaque poussée venteuse, tandis que Kuljeet désormais installée en Inde du Nord et le poète
Robert Notemboom discutent avec moi en messagerie privée, comme par hasard tous deux de la mort et de la vie, mais ce n’est somme toute pas si étonnant puisque l’une réagit au texte que je viens
de poster, où il est fortement question de cela, tandis que l’autre reprend la conversation de la veille au cours de laquelle nous évoquions sa fin attendue, et du coup toutes les morts passées
et à venir.
Je regarde au dehors où je ne vois que l’ombre et le feu d’une après- midi qui circule, se faufile entre la verdeur d’une mare et le rouge de l’érable. Dans des instants pareils je voudrais être
peintre pour attraper la lumière ou bien Dieu car je suis certaine que tout irradie de son large sourire que je voudrais tant expérimenter .
Et puis il y a ce poète iranien qui écrit sur sa
page qu’il voudrait qu’on l’enterre près d’une jeune fille aux yeux bleus « sky blue eyes" ce qui paraît si léger quasi angélique dit comme ça, en anglais, que l’on voudrait s’éteindre de suite
pour rejoindre cette ineffable apesanteur. La circonstance hasardeuse de ce bout de poésie, s’ajoute encore au reste, si bien que je voudrais m’y fondre, dans un irrésistible attrait des
couleurs, moi que le bleu obnubile…
Hier au soir j’ai voulu capter l’arc- en- ciel mais mon appareil photo, depuis le retour d’ Italie est resté déchargé alors je me suis enfoncée dans la lourde
tache de regarder sans fin, jusqu’à la douleur des yeux car il est difficile de fixer les choses, du regard, de la main, de les graver au fond de la mémoire ; je ne sais pourquoi je me suis
infligée la pesante responsabilité d’accueillir cela qui ne devrait selon moi en aucun cas se perdre avec le reste de cette après midi sans fin.
Je ne sais d’où j’écris peut- être du fin fond de cette absence qui s’élance et se noie, pupille orpheline, ou encore dans ce vague de l’âme dont on n’aurait pas
éclairci l’encombrant désir.
Dieu merci , voici que Philippe de Paris que je ne
connais pas sinon d'inépuisable fraternité de rêve (je me souviens de nuits d’insomnie s’étirant longuement entre France et Québec où nous nous
parlions à trois, avec Laurent, par dessus l’océan et les toits, histoire de ne pas nous enfoncer dans la densité nocturne sans en partager le grain ni la version ensoleillée due aux 6 heures de
décalage... ) m'interpelle soudain.
Il a juste parlé de papillon et j’ai pris ce mot comme une bouée de sauvetage, je l’ai épinglé
dans ma mémoire, et nous sommes repartis là dessus, via Internet, nous nous sommes dit des choses, c’est cela qui s’est passé très exactement et qui m’ a recalée dans le monde où il est
définitivement 16H 32 le 16 août 2014 tandis que j’écris.
© Hélène PHUNG "CARNET SANS VOYAGE" Nattages 16 août 2014-
Il y avait si peu de mer tout autour et tant de silence dans mon coeur, à croire qu'il était perforé. Où donc s'écoule le trop plein ,me demandais-je, posant un regard interrogateur sur les mouettes en vol, mais rien ne s'immobilisait que la grâce du ciel, gris pourtant, et couvert de nuages, et c'était cela qui le faisait stagner, malgré les avions, malgré le billet froissé dans ma poche, et pour quel voyage encore?
Il faut dire que quand on a oublié le sens de sa vie, il est bien difficile de revenir, en réalité quand j'ai voulu saisir ce bout de papier, je me suis rendue compte que j'étais nue, une terrible angoisse m'a saisie car je ne savais plus quelle nudité m'accompagnait alors: celle de mes vingt ans, ou celle des os désséchés en partance déjà vers l'au-delà des corps et des amours, et de quels amours vraiment? Car j'avais beau me répéter des phrases de la terre, rien ne me venait d'aussi vrai que ce ciel au-dessus de ma tête, d'aussi purs que ce silence coronaire, cette mer de sang intérieur, cet envol charnel de l'avion qui ne me contenait point, pas plus que je ne pouvais prétendre être la matrice de ce monde s'évadant par le trou percé de l'horizon. Alors que retenir de mon court passage ici bas qui ne soit de sable ni de vent, de silence ni de mot, et même à quoi bon? Il suffisait une fraction de seconde d'abandonner, de lâcher le souffle, d'ouvrir ses ailes d'oiseau, alors plus rien ne s'ouvrirait que le vide, qui ne serait pas un mot, ni un commencement d'histoire: juste un vertige... © Hélène PHUNG " CARNET SANS VOYAGE"
Italie 22 juillet 2014-07-22
Ici, à n’en pas douter, le soleil est italien. Fermant les yeux à la terrasse d’un café de Modéna , sirotant un cappucino léger, je me dis cela, que ses caresses à onze heures du matin sur ma peau découverte sont terriblement latines, d’ailleurs cette rumeur prodiguée tout à l’entour, jusqu’au bout de la « piazza » pavée, jusqu’aux pieds de la cathédrale somnolant sur sa rosace, sonne comme un doux cantilène d’amour tout tréssé de poudre d’insectes pareil à du pollen, qui chatouille l’épiderme, irrite à peine mes narines et mes lèvres sèches, aussitôt plongées dans la crème mousseuse débordant allegro ma non troppo de la tasse.
Dans ce rituel aux saveurs de café, j’accompagne tous ces gens assis, rendant comme moi grâce à la vie, à la douceur des couleurs qui les entoure, ocres langueurs des façades à demi cachées par la verdeur des platanes et des hibiscus ; quelque chose d’impalpable comme une longue prière partagée nous soude et nous délivre de notre pesanteur d’humains. Faire tant de kilomètres pour venir jusqu’ici accomplir ce rite anodin, et les yeux fermés encore !
Mais il faut avouer que c’est en cet instant précis de receuillement, de quasi méditation à l’intérieur de mes sens, en cette partie exacte du monde, que je ressens aussi divinement les liens qui vibrent, et se prolongent d’être à être, dans un langage de pierres et d’étoiles, d’arbres et de vent, et tout cela s’étire dans la couche du temps, au-delà de cet instant fragile et millénaire.
C’est pour cela que je suis venue.
Puis bien sûr il faudra rouvrir les yeux, se lever et partir, tant de gestes m’attendent encore à l’orée de moi, à des kilomètres de cette destination bientôt délaissée, désormais ouverte à l’espace que j’aurais un instant occupé, le remplissant du court passage terrestre de celle qui ne rêve que d’envolées.
Certes, revenir au regard c’est rompre le charme, mais se consoler aussi de ne point rester :juste en dessous des clochers et des colonnes de pierre s’étale le verbiage du quotidien fait de vitrines et d’affiches, de soldes d’été, comme si les saisons se bradaient.
Ce soir, je serai sur quelque rivage de la mer Adriatique, du côté de Pescara ou de Vasto, dans les Abbruzzes, et je trinquerai avec l’amour de la vie.
Car je ne suis amoureuse que d’elle , mille fois déjà je le lui ai dit, et mille fois elle m’a répondu, elle avait tantôt tes gestes, tantôt ceux des autres, elle s’étire de mon corps pour te rejoindre ailleurs, elle reste là pour danser avec le compagnon de ma vaste solitude, je pars sans cesse avec elle et ne reviens que lorsqu’ ayant assez grandi elle me pousse à partir encore pour mieux revenir, et ce jusqu’à perte d’elle, de moi, de nous réunies.
Jusqu’à mon dernier souffle, je n’aimerai que la vie. Le 22 juillet 2014 San Tomasso (sur la route de Pescara, Italie)
23 juillet Petacciato © Hélène PHUNG " CARNET SANS VOYAGE"
Lorsque j'étais enfant, la blancheur m'épouvantait, me donnait la nausée au-delà du froid et de la sensation de glace intérieure.
Ce matin je découvre un linceul s' etendant à perte de vue sur les champs. C'est une poudre tombée du ciel qui m'aveugle comme autrefois: je pressens d'infimes particules radio actives, j'espère
me tromper.
La folie meurtrière de ces jours ci me rend parano: les lieux et les dates se mélangent. Je revois ce séjour dans la Drôme, en 1986, dans la ma...ison de mon enfance, avec mon fils , nous avions pris l'air ( et quelques radiations peut -être qui sait...)
J'ai éprouvé cette impression de neige si forte dans mon coeur, une semaine avant son départ et il a neigé tellement pour de bon le jour de son entrerrement.
Au dernier moment, j'ai gardé l'une des roses que je devais jeter sur sa tombe, la seule qui était artificielle, je ne sais pas ce qui m'a pris. Elle était d'un mauve profond, couleur de
mysticisme. Je l'ai mise dans un vase de ma chambre et chaque jour je la vois s'éclaircir, elle arbore maintenant des tons rose clair, je me dis qu'elle blanchit à vue d'oeil, et je me persuade
que c'est à cause de son exposition à la lumière.
Mais il se peut aussi que mon fils soit mort, à très longue échéance, de Tchernobyl, ou bien des stigmates de ce siècle . Il faut bien mourir de quelque chose; chaque maladie est à décrypter
comme un long message de l'âme, non une simple défaillance du corps.
Voilà ce que j'essaie d'extraire de la blancheur inouïe des pages, tandis que les médias tournent en boucle les images de l'horreur, couvrant de mots la fureur du monde.
Ce matin il neige.
Chaque flocon tombé est comme une âme convertie à la lumière, qui, touchant le sol, explose de silence.
© Hélène Phung 22 novembre 2015. Première neige à Nattages.
D'abord l'ombre, le vent des ailes, puis l'envol juste au dessus des têtes. Ou bien c'est pure calligraphie tracée au ciel sans le moindre signe avant coureur. Il fait bon errer au coeur de
la roselière entre terre et ciel dans les couleurs d'un automne qui n'en finit pas de garder encore ses oiseaux.
Je marche en silence buvant le lait du paysage. J'absorbe novembre en prières tandis que les chemins se déroulent sous mes pas; lente lenteur des jours inutiles
Facile poésie. Le vrai courage serait de pouvoir se passer de métaphore. Je parle de la vie plus encore que d'écriture.
Hélène Phung Stes Maries de la Mer 13 Nov.2015
CARNET SANS VOYAGE Février 2016 Népal © HP
J'ai fait le voyage que tu n'as pas fait quand tu avais vingt ans et une amie que tu as laissé partir au Népal alors que ton coeur te hurlait de la suivre.
J'ai fait un autre voyage que celui que nous avions avorté en janvier 2015 parce que tu réalisais le tien, le dernier, et c'est même moi qui ai supplié le ciel de t'emporter pendant que tu trouvais encore la force de sourire et de te projeter dans un improbable appartement d...e Grenoble où des potes t'auraient aidé à guérir. Et je leur ai volontiers cédé la place tant tes amies s'appelaient Fleur et Myrtille, portaient du rouge cerise, aux lèvres et dans les barettes de leurs cheveux, tandis qu'elles te remontaient des coussins, tant les garçons me regardaient droit dans les yeux en me disant que tout allait continuer parce -que la vie ne pouvait pas s'arrêter là, tandis qu'ils te nourrissaient à la becquée.
J'ai fait ce voyage non pas pour oublier mais bien pour raviver la vie une fois de plus.
Nous avons frôlé l' Himalaya, tourné en rond dans des villages où ne restaient qu'amoncellements de briques et quelques vieux assis au soleil timide du printemps, tandis qu'une école
surgie d'on ne savait où bruissait de bourdonnements d'enfants.
Nous avons vacillé à la longue secousse d'un tremblement de terre de force 5,5 sur l' echelle de Richter, de 10 kms de profondeur, dont l'épicentre se trouvait à 35 kms seulement de
Baktapur où nous étions, et aux répliques suivantes si faibles dans la nuit que c'etait comme un bercement de mère. Alors nous avons tous fini par rentrer dans la maison pour nous coucher
en son sein comme des foetus à tout jamais confiants.
Même les scientifiques ne peuvent prédire quand ça arrivera, ils donnent juste la mesure du séisme lorqu'il est passé.
Comme quoi nul n'est visionnaire hors du coeur.
Ce jour là, dans les rues mon regard a croisé celui d'une jeune mère prise dans l'intimité d'un geste d'amour.
J'ai volé cette image car je me suis senti le droit de me glisser dans cet interstice une fraction de seconde seulement.
Le temps d'un voyage encore...
Népal Février 2016 © Hélène PHUNG Carnet sans voyage
Car la beauté, il faut aller la chercher, surtout où elle n'est pas: il reste toujours une faille au milieu de toute désolation, une brèche dans le néant où quelque chose s'engouffre.
Il est des lieux où elle a si longtemps attendu que la crasse l'a recouverte. ...Des poignées en or dissimulées sous des
carapaces de noirceur: fumées d'encens à la poussière mélées, une chèvre fragile bêlant sans voix au milieu des décombres d'un tremblement de terre, une femme assise sur un toit ,le visage
résolument tendu vers l'est.
Poussant les portes, j'ai trouvé des temples d'or avec un oiseau s'envolant de chaque angle de toiture vers les 4 directions, tandis que mon coeur s'ouvrait par le milieu, et se dégustait comme
une mangue trop mûre par les dieux des vents.
Il faut être soi même d'air et de souffle pour être emporté.
Je ne suis pas assez déliée encore, trop de désir et ce "shen" accroché à la pesanteur d' être...
Le bêlement est resté coincé dans la gorge des chèvres, et le cri dans les yeux des enfants, onze mois plus tard encore, et la douleur de mon fils envolé, tout est resté muet. Je mesure l'onde de
choc de tant de silences percutés.
La femme là -haut , sur le toit d'une maison de Panauti, ne cesse de tendre le cou vers l'arrivée d'un improbable evènement, l'imminence d'un amour, que sais-je? Sa posture immobile, si digne, ce
regard tendu au-delà de tout.
Comme si rien ne pouvait advenir que du côté du ciel, aimanté par sa seule attente.
Quelque chose de moi la rejoint, se drapant sous le même foulard, se fondant dans ses yeux. La plus grande partie de ce qui me reste.
L'avion survolera les Himalayas, je rentrerai delestée"
Posté le 09 février sur FB
Kathmandu Février 2016 © Hélène PHUNG 'Carnets sans voyage
Internet m'a manqué, ce lien constant avec le monde, cette façon sourde de se relier comme au placenta des autres lorsque l'on se déserte soi-même...
Et puis il a bien fallu respirer en dehors de ce circuit pour ne pas suffoquer. Le noyau a durci, ce noeud au fond de l'existence qui n'était rien que le lent et vertigineux déclic à
soi-même. Là où tout est concentré: os, moëlle, peau, désir et mémoire.
En remontant encore toucher au lieu d'avant l'écriture, d'avant même la pa...role, dans le silence existentiel.
Une pureté de neige comme sustance himalayenne pour tout poumon, pulsation inorganique, issue du mystère même de la fonction respiratoire. Chant cellulaire des étoiles.
Je suis née enfin de ce trouble, de cette buée que produit le vivant à la surface de son propre épiderme en contact avec la réalité minérale.
Autour de cela, c'est dehors qui commence.
© Hélène Phung "Carnet sans voyage" Février 2016 Notes sous le ciel étoilé de Nagarkot ,Népal - Nattages le 11fev. aux aurores
Je viens de me faire une peur bleue. L' oublieuse que je suis avait égaré depuis quelques temps un DISQUE DUR qui gardait tout en MEMOIRE: des centaines de textes que ma propre cervelle de moineau s'était dépêchée d'effacer.
Jusque là rien que de très banal, me concernant. Je sais que j'oublie, que ça traine quelque part entre ici et maintenant, ailleurs et jamais, et en général je m'en fiche un peu. Sauf que cette fois -ci, je l'ai cru vraiment perdu. Et tout à coup j'ai me...suré combien je tiens finalement à ce que depuis des mois je tente de préserver par écrit, d'autant plus qu'il me semble que ma mémoire fiche le camp bien plus loin que prévu...
Elle, déjà si capricieuse s'agissant de mon passé, se met désormais à me tendre des pièges dans les instants présents au point qu' assez souvent je me lève dans un but précis, qui se perd
en route, et je me retrouve dénuée d'intention, à mi-chemin entre une prise de décision et son accomplissement.
Toujours, la même réaction s'ensuit: bah, après tout ça ne devait pas avoir tant d'importance puisque je ne sais plus.
D'ailleurs avec ce raisonnement là, force est de constater que de moins en moins de choses ont d'importance, finalement.
Je crois que j'irai vers ma mort complètement zen.
Alzheimer me guetterait -il? Mais je me rends compte que le même mal atteint bien de mes amis: c'est la fatigue dit-on.
Si tous nous perdons la mémoire, alors à quoi bon en avoir une, puisque le but est quand même de se rappeler des autres, et avec les autres, n'est-ce pas?
Ca me rappelle ( comme quoi il me reste malgré tout une ou deux petites histoires au fond de la tête) celle de ce sage qui part subitement sans prévenir personne.
Quelques années plus tard, le voilà de retour. Les disciples accourent, l'entourent de toutes parts. Maitre, maître, enfin vous voilà de retour, mais où êtes vous allé? Dans la montagne ,
répond -il évasivement Mais pourquoi êtes-vous parti ?
Pour oublier.
Et qu'est-ce que vous aviez à oublier?
Euh, je ne sais plus répond le maître, j'ai oublié....
Bref, ayant retrouvé mon disque dur, je vais pouvoir relire des bribes de vie, et ce faisant, me rappeler ce que je voulais peut -être oublier?
Hélène PHUNG 11 avril 2016 à Nattages
Je reprends mes "CARNETS SANS VOYAGE"
Nous préparons nos bagages, ce n’est pas pour te rejoindre car là où tu es rien ne se rejoint que la terre en oubli de ci...el.
Mais nous partons.
A condition encore que les mots que nous créons sans cesse ne soient pas remplis du vide sur lequel nous marchons, mais d’une réelle substance…
Hélas j’ai beau scruter les silences de l’horizon, rien ne défile que le sentiment accru d’une absence plus réelle que tout le reste, et soudain le monde perd de sa crédibilité : les
arbres, les nuages et les collines que nous voyons passer ne sont que reflets de cette matière vivante qui nous compose, mais nous décomposés que restera –t-il de tant de lumière inutile
?
Il faut bien cependant tisser à partir de ce vertige infini notre propre finitude, et chanter avec les mots l’innocence de notre folie.
Que veux tu ? Nous partons même s’il semble bien désormais que la vie ne soit qu’un long surplace au-dessus de nous mêmes, nos rêves ambulants.
Nous partons vers la mer, ou bien vers les autres, vers l’horizon en bout de course, vers des contrées à contre-vents et des lumières à contre –jour, nous partons.
Au bout du compte, c’est bien vers toi que nous allons.
© Hélène PHUNG 06 avril 2015 « Carnet sans voyage »
J'ai vraiment hâte de voir ce que tu vas écrire demain m'a dit Marie Hélène. En fait, comme bien souvent, je me jette sur mon téléphone portable les yeux encore froissés, et la tête vide pour
tapoter du fin fond du lit quelques signes de vie. Juste histoire de dire. En fait, il s'agit avant tout d'emerger de la matiere par un cri comme le fait le nourisson dans sa première goulee
d'air.
Mais ce matin je reste obnubilée par le souvenir de cette phase car je ne devine que... trop bien tout ce quˋ elle sous
entend, et cette attente d'un compte rendu de la journée d'hier me paralyse.
Est on vraiment obligés de raconter? De coucher par écrit comme on dit. J'adore cette expression terriblement grivoise. Mais je crois que je préfère encore "passer sous silence".
Toute la maisonnée sommeille, le chat y compris. Par la lucarne j' entrevois le ciel de Paris moins dix minutes. Le lointain brouhaha des rues réchauffe lentement mes oreilles. Doucement je
reviens à la vie au monde aux secrets. A la magie du corps. Aux riens qui se tissent autour d'un silence dont nous ne cesserions d'hériter minute apres minute. Minutieusement.
Je me sens dépositaire de ce lourd héritage. D'un Saint Graal qui pousserait sous nos pieds à la vitesse de nos pas et que nous ne saurions cueillir.
Je voudrais ralentir davantage encore ces longues minutes d'inertie , le corps emberlificote dans les draps, l'esprit dans un demi sommeil . Cet état second d' un monde pas encore rendu à
lui- même, la promesse d'un Paris qui s'étire avant l'eveil : toutes ces micro secondes d'une prolongation inutilement delicieuse, délicieusement inutile.
Et tout le reste le passer sous silence...
Helene Phung "Carnet sans voyage "3 avril 2016
Je songe à ce jeune poète
qui épelle sans cesse
toutes les parties du corps
sein fesses lune
échancrure...
verge hanche
mamelon
blanc du slip
et noire toison
orgasme
je vous fais grâce
de tous les verbes
et de toutes les postures
de mots
si faciles à prendre
lorsque l'on déshabille
la vie
à pleines dents
comme nous le faisions autrefois
du temps de Yoko Ono
un peu plus tard à peine
assise comme elle
dans le blanc des draps
et la luxure
d'une intarissable jeunesse
maintenant que nous avons épuisé
tous les sens
et toutes les virginités possibles
il reste les mots les plus indécents
dans leur grâce érectile
le plus cru
du corps
et de l'âme
le dernier qui me fasse encore bander
insolente jouissance
aux tétons de vivre
carnassier désir
de vibrer encore:
"amour"...
© Hélène PHUNG 12 Mars 2016
( ce poète se reconnaitra ou pas, moi je me suis reconnue en lui...)
30 avril 2016
Je ne sais le chemin de la terre.
De Ba Be à Nagarkot, en passant par Poya où j'irai bientôt: les routes parcourues et celles qu'il reste à étrenner. Les longues traversées en solitaire de ma mémoire. Je me souviens que j'avais oublié. Durablement. Il parait que tout reste quelque part, c'est juste que l'on n'y a plus accès.
L'amnésie est un refus d'accéder, un besoin de rester sur le seuil, toujours.
En ce lieu improbable, la voix acidulée du chanteur qui berça notre jeunesse n'a pas pris une ride, elle tourne en boucle jusqu'à non épuisement. C'est quelque chose de très proche de l'éternité comme un rythme interne, totalement intégré, qui donne le tempo au vieillissement cellulaire de nos dedans.
Car dehors ne bouge pas. Rien ne se déroule. Un ruban de séquences- temps qui se perdrait dans le fossé immense du passé, et qui, depuis un lointain horizon, se déviderait jusqu'à nous, ce schéma là, tous les physiciens nous le disent: il faut le gommer une fois pour toutes de nos consciences. Pure illusion de nos constructions mentales.
Rien ne s'échappe ni ne s'écoule.
La métamorphose est juste inhérente à notre chair. Nous sommes faits de nécrose, nous sommes la chose vivante. Rien ne se déploie que ce glissement souterrain dont nous sommes constitués. Tout s'opère toujours à notre insu ,même les floraisons les plus délicates du printemps de notre vie.
Je fus cerisier, ô mon amour!
Combien de vents ont secoué mes branches et froissé des fleurs aux pétales tombés! Rien ne reste de la musique de ce souffle, ni du désordre grisant des parfums. De la douce violence de vivre je porte les odorants stigmates, et garde le goût de cette chose à jamais inutile: la beauté.
De Terre & d'Encre